Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/289

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Il est vrai qu’on reprocha souvent à Bourdaloue, comme à Corneille, d’être un peu trop avocat, de vouloir trop prouver au lieu de toucher, et de donner quelquefois de mauvaises preuves. Massillon, au contraire, crut qu’il valait mieux peindre et émouvoir : il imita Racine, autant qu’on peut l’imiter en prose, en prêchant cependant que les auteurs dramatiques sont damnés : car il faut bien que chaque apothicaire vante son onguent, et damne celui de son voisin[1]. Son style est pur, ses peintures sont attendrissantes.

Relisez ce morceau sur l’humanité des grands :

« Hélas ! s’il pouvait être quelquefois permis d’être sombre, bizarre, chagrin, à charge aux autres et à soi-même, ce devrait être à ces infortunés que la faim, la misère, les calamités, les nécessités domestiques, et tous les plus noirs soucis environnent. Ils seraient bien plus dignes d’excuse si, portant déjà le deuil, l’amertume, le désespoir souvent dans le cœur, ils en laissaient échapper quelques traits au dehors. Mais que les grands, que les heureux du monde, à qui tout rit et que les joies et les plaisirs accompagnent partout, prétendent tirer de leur félicité même un privilége qui excuse leurs chagrins bizarres et leurs caprices ; qu’il leur soit plus permis d’être fâcheux, inquiets, inabordables, parce qu’ils sont plus heureux ; qu’ils regardent comme un droit acquis à la prospérité d’accabler encore du poids de leur humeur des malheureux qui gémissent déjà sous le joug de leur autorité et de leur puissance : grand Dieu ! serait-ce donc là le privilége des grands ? »

Souvenez-vous ensuite de ce morceau de Britannicus :


Tout ce que vous voyez conspire à vos désirs ;
Vos jours, toujours sereins, coulent dans les plaisirs :
L’empire en est pour vous l’inépuisable source ;
Ou si quelque chagrin en interrompt la course,
Tout l’univers, soigneux de les entretenir,
S’empresse à l’effacer de votre souvenir.
Britannicus est seul : quelque ennui qui le presse,
Il ne voit dans son sort que moi qui s’intéresse,
Et n’a pour tout plaisir, seigneur, que quelques pleurs
Qui lui font quelquefois oublier ses malheurs.

(Acte II, scène iii.)

Je crois voir, dans la comparaison de ces deux morceaux, le

  1. Le monologue fut en tout temps jaloux du dialogue, a dit Voltaire ; voyez tome XXIV, page 215.