Je suis sûr, au moins autant qu’on le peut être, que le surintendant[1] de la reine a nommé Saurin ; mais il est vrai que je ne lui ai parlé que la veille de l’élection, et il se pourrait bien qu’avant ce temps-là il en eût servi un autre : c’est ce que je ne sais pas assez positivement pour pouvoir vous l’assurer. Après tout, c’est ce qu’il est fort peu important d’approfondir ; par malheur le vin et Trublet sont tirés, il faut les boire.
Nous recevons aujourd’hui l’évêque de Limoges[2], qui ne sait pas lire, et Batteux[3], qui ne sait pas écrire ; mais en revanche nous avons un directeur[4] qui sait lire et écrire, qui s’en pique du moins. Je m’attends à un grand déluge d’esprit, et je crois qu’il faudra qu’on me tienne, comme à Rémond de Saint-Marc, la tête bien ferme. À lundi prochain la réception de l’archidiacre, qui évoquera sûrement l’ombre de Fontenelle, et à qui le directeur fera apparemment compliment sur ses bonnes fortunes, car il prétend en avoir eu beaucoup par le confessionnal et par la prédication.
Nous avons encore une place vacante à l’Académie ; mais ce ne sera pas, je crois, pour Marmontel. M. le duc d’Aumont fait peur à ces messieurs. Vous devez juger par là qu’ils ne sont pas fort braves. Ainsi nous aurons eu sept places vacantes à la fois, et nous n’aurons pas choisi le seul homme qu’il nous convenait de prendre. Je ne ferais qu’en rire (car il n’y a que cela de bon), tant qu’ils n’iront pas jusqu’à l’avocat[5] sans causes, auteur des Cacouacs : car pour lors cela passerait la raillerie, et je pourrais bien les prier de nommer Chaumeix ou Omer à ma place, surtout si vous vouliez en même temps donner la vôtre à frère Berthier.
Je viens à Jean-Jacques, non pas à Jean-Jacques Lefranc de Pompignan, qui pense être quelque chose[6], mais à Jean-Jacques Rousseau, qui pense être cynique, et qui n’est qu’inconséquent et ridicule. Je veux qu’il vous ait écrit une lettre impertinente, je veux que vous et vos amis vous ayez à vous en plaindre ; malgré tout cela, je n’approuve pas que vous vous déclariez publiquement contre lui comme vous faites, et je n’aurai sur cela qu’à vous répéter vos propres paroles : Que deviendra le petit troupeau, s’il est désuni et dispersé[7] ? Nous ne voyons pas que ni Platon, ni Aristote, ni Sophocle, ni Euripide, aient écrit contre Diogène, quoique Diogène leur ait dit à tous des injures. Jean-Jacques est un malade de beaucoup d’esprit, et qui n’a d’esprit que quand il a la fièvre. Il ne faut ni le guérir, ni l’outrager.
À propos, j’oubliais de vous demander si vous avez reçu un mémoire que j’ai fait sur l’inoculation[8], et dans lequel je crois avoir prouvé, non que
- ↑ Le président Hénault.
- ↑ Coetlosquet.
- ↑ Charles Batteux, né en 1713, mort en 1780, avait été élu à l’Académie française à la place de Odet-Joseph Devaux de Giry, abbé de Saint-Cyr.
- ↑ Le duc de Nivernais.
- ↑ Moreau.
- ↑ Voyez le dernier vers de la satire intitulée la Vanité, tome X.
- ↑ C’est en effet ce que dit Voltaire, en d’autres termes, dans sa lettre 4491.
- ↑ D’Alembert venait de publier les deux premiers volumes d’Opuscules mathé-