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m’avez fait jouer un triste personnage quand je me suis trouvé entre vous et mes amis, que vous avez déchirés. Je vous avais ouvert une voie pour tout concilier ; mais, au lieu de la prendre, vous avez redoublé vos attaques. C’est aux jésuites et aux jansénistes à se détruire, et nous aurions dû les manger[1] tranquillement, au lieu de nous dévorer les uns les autres.


4289. — À M. D’ALEMBERT.
8 octobre.

J’ai eu, mon très-cher maître, votre discours[2] et M. de Maudave, et j’ai été bien content de l’un et de l’autre. Indépendamment de vos bontés pour moi, j’aime tout ce que vous faites ; vous avez un style ferme qui fait trembler les sots. Je vous sais bon gré de n’avoir pas mis la tragédie dans la foule des genres de poésie qu’on ne peut lire. Je vous prie, à propos de tragédie, de ne pas croire que j’aie fait Tancrède comme on le joue à Paris. Les comédiens m’ont cassé bras et jambes ; vous verrez que la pièce n’est pas si dégingandée. Heureusement le jeu de Mlle Clairon a couvert les sottises dont ces messieurs ont enrichi ma pièce pour la mettre à leur ton. Nous l’avons jouée ici ; et, si vous y revenez, nous la jouerons pour vous. Vous seriez étonné de nos acteurs. Grâce au ciel, j’ai corrompu Genève, comme m’écrivait votre fou de Jean-Jacques[3]. Il faut que je vous conte, pour votre édification, que j’ai fait un singulier prosélyte. Un ancien officier[4], homme de grande condition, retiré dans ses terres à cent cinquante lieues de chez moi, m’écrit sans me connaître, me confie qu’il a des doutes, fait le voyage pour les lever, les lève, et me promet d’instruire sa famille et ses amis. La vigne du Seigneur n’est pas mal cultivée. Vous prenez le parti de rire, et moi aussi ; mais


En riant quelquefois on rase
D’assez près ces extravagants
À manteaux noirs, à manteaux blancs,
Tant les ennemis d’Athanase,
Honteux ariens de ce temps,
Que les amis de l’hypostase,
Et ces sots qui prennent pour base

  1. Mangeons du jésuite ! … est le cri des Oreillons, dans le chap. xvi du roman de Candide.
  2. Réfléxions sur la Poésie ; voyez tome XL, page 526.
  3. Voyez le passage de sa lettre, tome XL, page, 423.
  4. Le marquis d’Argence de Dirac.