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ne sont pas les plus sages et les plus heureux qui l’usent tout de suite. C’est à M. Martin et à maître Pangloss à discuter cette matière, et à moi à me battre tant qu’on se battra.

Pour vous, qui êtes spectateur de la pièce sanglante qu’on joue, vous pourrez nous siffler tous tant que nous sommes. Grand bien vous fasse ! Soyez persuadé que je n’envie pas votre bonheur ; je suis convaincu que l’on ne peut jouir que lorsqu’on n’est en guerre ni de plume ni d’épée. Vale.


Fédéric.

3834. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[1].
Aux Délices, 29 avril.

Madame, j’userai donc de la permission que Votre Altesse sérénissime veut bien me donner, d’oser lui adresser une lettre pour Mme la comtesse de Bassevitz[2] ; mais j’abuserai de cette permission, et je vous supplie, madame, de pardonner la liberté que je prends. Je lui envoie des livres imprimés en échange des manuscrits que je devrai à vos bontés. Quelle autre protection que la vôtre puis-je choisir, madame, pour lui faire parvenir ce petit ballot ? Les armées occupent tous les chemins ; la plupart des paquets qu’on m’envoyait de Pétersbourg se sont perdus ; les housards ont pillé les matériaux de l’Histoire de Pierre le Grand. Les maux de la guerre influent sur tout ; on parle de paix, et on couvre la terre de soldats, et tandis qu’on va marier un archiduc, on célébrera ses noces par l’effusion du sang humain. Je plains, dans ces circonstances, ceux qui demeurent dans le Mecklembourg : et sans les bontés de Votre Altesse sérénissime, j’aurais peur que ma lettre à Mme de Bassevitz ne parvînt pas à son adresse.

Je vous supplie, madame, de vouloir bien qu’elle passe par vos respectables et très-aimables mains. J’aurai l’honneur de l’envoyer quand le paquet, qui va lentement, sera à moitié chemin.

La cousine de Mlle Pertriset[3] est toujours bien fière : elle a de la beauté, de l’esprit et de l’argent. Je vous tiens, madame, bien plus heureuse qu’elle.

Je me mets aux pieds de Votre Altesse sérénissime avec le plus profond respect.

  1. Éditeurs, Bavoux et François.
  2. Elle faisait passer à Voltaire les Mémoires du comte de Bassewitz sur Pierre le Grand. (A. F.)
  3. Le roi de Prusse.