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À minuit.

J’ai soupe tout seul ; j’ai un peu rêvé. Voici, mes chers anges, le monologue du second acte pour Mlle Clairon. Le premier n’était que naturel, mais trop élégiaque. Vous êtes gens de haut goût à Paris. Au nom de la sainte Vierge, faites réciter ce morceau à Clairon ; il favorise tant la déclamation !

Je vous en prie, je vous en conjure.


4271. — À MADEMOISELLE CLAIRON.
24 septembre.

Voilà ce que c’est que de n’être point à Paris ; on ne s’entend point, on joue au propos interrompu. Je reçois un paquet de M. d’Argental, avec Tancrède. Je joue Tancrède ce soir. Sachez, divine Melpomène, que je fais pleurer dans le rôle du bonhomme. Il faut un vieillard vert, chaud, à voix moitié douce, moitié rauque, attendrissante, tremblotante. Divine Melpomène, je vous conjure, par les lois immuables du goût, de ne point sortir du théâtre au second acte, comme une muette qu’on va pendre. Faites-moi l’amitié, je vous en supplie, de réciter le monologue ci-joint ; il est favorable à la déclamation, il nous tire ici des larmes. Comment ne subjuguerez-vous pas tout le monde, en prêtant à ce morceau la force et le pathétique qui lui manquent ?

J’aurais plus de choses à vous dire que je n’ai fait de mauvais vers en ma vie ; mais je plante des arbres ce matin, et je joue Argire ce soir. Deux heures de conversation avec vous me feraient grand bien ; mais quoi ! Fréron et Poinsinet m’ont chassé de Paris. Il est juste que les grands hommes honorent la capitale, et que je sois dans les Alpes. Envoyez-moi, dans un billet, une larme ou deux des cent mille que vous faites répandre.


4272. — À M. LEKAIN.
24 septembre.

Avant d’aller jouer Tancrède, et après avoir écrit une longue lettre à M. et Mme d’Argental, et après avoir fait un petit monologue pour Mlle Clairon à la fin du second acte, et après avoir enragé qu’on ne m’ait pas averti plus tôt, et après m’être voulu beaucoup de mal d’être si loin de vous, et n’en pouvant plus, j’aurai peut-être encore le temps, mon cher Lekain, de vous dire un petit mot que je n’ai point dit à M. et à Mme d’Argental, en leur écrivant à la hâte, et étant ivre de leurs bontés.