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dessein formé, nul attentat. J’y vois un fils indigne de son père ; mais un fils ne mérite point la mort, à mon sens, pour avoir voyagé de son côté, tandis que son père voyageait du sien. Je tâcherai de me tirer de ce pas glissant, en faisant prévaloir, dans le cœur du czar, l’amour de la patrie sur les entrailles de père.

Je suis bien surpris de voir, dans les Mémoires que je parcours, ces mots-ci : « Les biens du monastère de la Trinité ne sont point immenses, ils ont deux cent mille roubles de rente. » En vérité, il est plaisant de faire vœu de pauvreté pour avoir tant d’argent ; les abus couvrent la face de la terre.

Quelques lettres de Pierre le Grand seront bien nécessaires ; il n’y a qu’à choisir les plus dignes de la postérité. Je demande instamment un précis des négociations avec Gôrtz et le cardinal Albéroni, et quelques pièces justificatives. Il est impossible de se passer de ces matériaux. Ayez la bonté, monsieur, de me les faire parvenir. Donnez-moi vite, et vous recevrez vite. Vous êtes cause que j’ai fait une tragédie, et que j’ai bâti un théâtre dans mon château, n’ayant rien à faire. J’en suis honteux ; j’aurais mieux aimé travailler pour vous. J’aime mieux traiter l’histoire de votre héros que de mettre des héros imaginaires sur la scène. N’allez pas me réduire à m’amuser, quand je ne veux m’occuper qu’à vous servir. Regardez-moi comme votre secrétaire tendrement attaché.


3984. — À M. LE MARQUIS DE CHAUVELIN,
ambassadeur à turin.
Aux Délices, 22 novembre.

Vous, faits pour vivre heureux, et si dignes de l’être,
Qui l’êtes l’un par l’autre, et dont les agréments
      Ont prêté pendant quelque temps
Un peu de leur douceur à mon séjour champêtre ;
      Quoi ! vous daignez dans vos palais
      Vous souvenir de nos ombrages !
Vous donnez un coup d’œil à ces autels sauvages
Que nous dressions pour vous, où vos yeux satisfaits
      Daignaient accepter nos hommages !
Vous parlez de beaux jours : ah ! vous les avez faits !
Vous vantez les plaisirs de nos heureux bocages :
      C’est courir après vos bienfaits.


Vos deux Excellences nous ont enchantés chacun à sa façon. Vous en faites autant à Turin. Vous y avez essuyé plus de cérémo-