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tandis que tout le monde nous donne sur les oreilles ? Ah ! mon divin ange, que j’ai bien fait de me composer une petite destinée indépendante ! que j’ai bien choisi mes retraites ! que je m’y moque du genre humain !


Atque metus omnes, strepitumque Acherontis avari
Subjicio pedibus[1].


Mais mon refrain, mon triste refrain, est toujours que je mourrai sans avoir revu mon cher ange. Il n’y a pas d’apparence que je revienne dans le pays des Anitus[2] et des Fréron. Je suis continuellement partagé entre le bonheur extrême dont je jouis, et la douleur de votre absence.


3936. — À M. LE MARQUIS D’ARGENCE DE DIRAC[3],
à angoulême.
Ier octobre.

Monsieur, la confiance que vous voulez bien me témoigner, et le goût que vous avez pour la vérité, me touchent sensiblement. Vous avez perdu, dites-vous, des protecteurs ; mais vous êtes, sans doute, votre protecteur vous-même ; on n’a besoin de personne quand on a un nom et des terres. M. le chevalier d’Aidie a pris, il y a longtemps, le parti de se retirer chez lui ; il s’est procuré par là une vie heureuse et longue. Il n’y a personne qui ne regarde le repos et l’indépendance comme le but de tous ses travaux ; pourquoi donc ne pas aller au but de bonne heure ? On est égal aux rois quand on sait vivre heureux chez soi.

Quant aux objets de métaphysique dont vous me faites l’honneur de me parler, ils méritent votre attention. Il est bien vrai que, dans les lois de Moïse, il n’est jamais parlé de l’immortalité de l’âme, ni de récompenses et de peines dans une autre vie ; tout est temporel, et l’Anglais Warburton, que M. Silhouette a traduit en partie[4], prétend que Moïse n’avait pas besoin de ce ressort pour conduire les Hébreux, parce qu’ils avaient Dieu pour

  1. Voyez les vers 491 et 492 du livre II des Géorgiques.
  2. Par le nom d’Anitus, persécuteur de Sociate, Voltaire désigne l’avocat général Fleury, persécuteur des philosophes.
  3. Le marquis d’Argence, seigneur de Dirac, à deux lieues d’Angoulême, était un ancien officier retiré dans ses terres avec le titre de chevalier de Saint-Louis. Il alla voir Voltaire au mois de septembre 1760, et leur correspondance ne cessa qu’en 1778.
  4. Voyez la note, tome XXVI. page 396.