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les lumières. Ses conseils seront des ordres pour moi ; et jamais elle ne sera compromise.

On parle beaucoup d’une convention secrète : cela n’est pas impossible ; mais je n’y crois pas encore, attendu que cet événement serait bien contradictoire avec tout ce qu’on m’écrit.


3449. — À FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
13 novembre.

Sire, votre Épître[1] à d’Argens m’avait fait trembler ; celle[2] dont Votre Majesté m’honore me rassure. Vous sembliez dire un triste adieu dans toutes les formes, et vouloir précipiter la fin de votre vie. Non-seulement ce parti désespérait un cœur comme le mien, qui ne vous a jamais été assez développé, et qui a toujours été attaché à votre personne, quoi qu’il ait pu arriver ; mais ma douleur s’aigrissait des injustices qu’une grande partie des hommes ferait à votre mémoire.

Je me rends à vos trois derniers vers, aussi admirables par le sens que par les circonstances où ils sont faits :


Pour moi, menacé du naufrage,
Je dois, en affrontant l’orage,
Penser, vivre, et mourir en roi.


Ces sentiments sont dignes de votre âme ; et je ne veux entendre autre chose par ces vers, sinon que vous vous défendrez jusqu’à la dernière extrémité avec votre courage ordinaire. C’est une des preuves de ce courage supérieur aux événements, de faire de beaux vers dans une crise où tout autre pourrait à peine faire un peu de prose. Jugez si ce nouveau témoignage de la supériorité de votre âme doit faire souhaiter que vous viviez. Je n’ai pas le courage, moi, d’écrire en vers à Votre Majesté dans la situation où je vous vois ; mais permettez que je vous dise tout ce que je pense.

Premièrement, soyez très-sûr que vous avez plus de gloire que jamais. Tous les militaires écrivent de tous côtés qu’après vous être conduit à la bataille du 18[3] comme le prince de Condé à Senef, vous avez agi dans tout le reste en Turenne. Grotius

  1. Du 23 septembre 1757.
  2. Du 9 octobre ; voyez lettre 3430.
  3. La bataille de Kollin, perdue par Frédéric le 18 juin 1757.