cevait dans sa main et qu’elle portait dans la cheminée ; elle mangeait, dans une semaine, deux ou trois biscuits, et vivait à peu près comme un perroquet ; elle était sèche comme le bois d’un vieux violon, et vécut dans cet état près de quatre-vingts ans, sans presque souffrir.
Au reste, je présume que M. Tronchin vous prescrira à peu près le même remède qu’à moi ; et, comme vous avez l’esprit plus tranquille que le mien, peut-être ce remède vous réussira ; mais ce ne sera qu’à la longue[1]. Le père putatif[2] du maréchal de Richelieu, qui était le plus sec et le plus constipé des ducs et pairs, s’avisa de prendre du lait à la casse ; cela avait l’air du bouillon de Proserpine ; il s’en trouva très-bien. Il mangeait du rôti à dîner, il prenait son lait à la casse à souper, et vécut ainsi jusqu’à quatre-vingt-quatre ans. Je vous en souhaite autant, ma chère nièce. Amusez-vous toujours à peindre de beaux corps tout nus, en attendant que le docteur Tronchin rétablisse et engraisse le vôtre.
Adieu, ma chère nièce ; tâchez de venir nous voir avec des tétons rebondis et un gros cul. Je vous embrasse tendrement, tout maigre que je suis. J’écris à Montigny[3] sur la mort de Mme Ledosseur. Sa perte m’afflige, et fait voir qu’on meurt jeune avec de gros tétons. La vie n’est qu’un songe ; nous voudrions bien, votre sœur et moi, rêver avec vous.
Il me paraît monsieur, que Sa Majesté polonaise n’est pas le seul homme bienfaisant[5] en Lorraine, et que vous savez bien faire
- ↑ Cinq mois plus tard, Mme de Fontaine alla aux Délices, ou Tronchin la ressuscita bientôt.
- ↑ Le maréchal de Richelieu, selon la règle générale, était fils de son père ; mais il paraît que ce père n’était pas Armand-Jean Vignerod, mort en mai 1715. Cette particularité était bien connue du maréchal lui-même ; et les lettres que Voltaire lui adressa le 10 octobre et le 3 décembre 1769 ne laissent aucun doute sur ce point. (Cl.)
- ↑ Mignot de Montigny, cousin germain de Mme de Fontaine, mort en 1782.
- ↑ Tressan était lieutenant général depuis mai 1748. Quelques années après, il avait été appelé à la cour de Luneville pour y remplir les fonctions de grand-maréchal. Ce fut lui qui engagea principalement Stanislas à fonder l’Académie des sciences et belles-lettres de Nancy, en décembre 1750.
- ↑ Ce titre avait été donné à Stanislas, en décembre 1751, dans la première séance publique de l’Académie de Nancy, par Thibault, l’un de ses membres titulaires.