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comme Esculape. Il ne fait point la médecine comme les autres. On vient de cinquante lieues à la ronde le consulter. Les petits estomacs ont grande confiance en lui. Ce sera, je crois, votre affaire, si jamais vous avez le courage et la force de passer nos montagnes.

Votre sœur ne m’a avoué qu’aujourd’hui sa tracasserie avec Chîmène[1]. Cette nouvelle horreur d’elle me plonge dans un embarras dont je ne peux plus me tirer. Je suis trop malade et trop accablé pour travailler à notre Orphelin ; je me résigne à ma triste destinée, et je vous aime de tout mon cœur.

Votre frère a écrit une lettre charmante à sa sœur ; il a bien de l’esprit, et l’esprit bien fait. J’embrasse votre fils, qui sera tout comme lui.


3002. — DE M. DARGET[2].
6 septembre 1755.

J’ai malheureusement une trop bonne excuse, mon ancien ami, de n’avoir pas encore répondu à la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire le 5 du mois dernier. J’ai toujours été malade, et pendant plus de quinze jours assez considérablement d’un mal de gorge. Je n’ai pu ni m’occuper ni sortir, et cela est vrai au point que je ne verrai que demain pour la première fois votre belle tragédie de l’Orphelin de la Chine. Je vous fais bien sincèrement mon compliment sur ces nouveaux lauriers, et je vous prie d’être persuadé que personne n’en voit orner votre front avec plus de plaisir que moi.

Je n’ai rien vu des manuscrits tronqués qui courent presque publiquement de votre poëme de la Pucelle : vous savez que je connais la bonne édition[3], et je verrai bientôt les endroits où l’on a voulu si méchamment introduire des choses qui ne sont pas de vous. Et qui pourrait s’y tromper, mon cher ami ? il n’appartient qu’à vous seul de retoucher vos ouvrages. Il faut bien prendre votre parti sur la publication de ce poëme : tous vos amis craignent à Paris qu’il ne soit bientôt imprimé, surtout en Hollande ou en Angleterre ; et j’en tremble avec eux : je suis même surpris que cet événement-là ne soit pas arrivé plus tôt ; il est très-certain que du Puget, ce Provençal attaché très-peu de temps à la maison du prince Henri, en avait une copie fournie par l’infidélité de Tinois. Il l’avait emportée dans le temps qu’il disparut de Berlin ; et peut-être les espérances qu’il avait fondées sur le profit de ce manuscrit entrèrent-elles dans le projet de sa retraite. J’ai su depuis qu’il avait passé en Russie, où il a rentré dans l’obscurité. C’est peut-être à cette copie que vous devez la filiation de toutes celles qui se sont répandues depuis. Grasset, qui vous porte à vous-même votre ouvrage,

  1. Le marquis de Ximenès.
  2. Réponse à la lettre 2974.
  3. Il veut dire la bonne version.