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Mme la margrave de Baireuth voulait m’emmenerr en Languedoc. Savez-vous qu’elle y va, qu’elle a passé par Colmar, que j’y ai soupé avec elle le 23, qu’elle m’a fait un présent magnifique, qu’elle a voulu voir Mme Denis, qu’elle a excusé la conduite de son frère, en la condamnant ? Tout cela m’a paru un rêve ; cependant je reste à Colmar, et j’y travaille à cette maudite Histoire générale qui me tue. Je me sacrifie à ce que j’ai cru un devoir indispensable. Je vous remercie d’aimer Sémiramis. Mme de Baireuth en a fait un opéra italien, qu’on a joué à Baireuth et à Berlin. Tâchez qu’on vous donne la pièce française à Paris. Mme Denis se porte assez mal ; son enflure recommence. Nous voilà tous deux gisants au bord du Rhin, et probablement nous y passerons l’hiver. Je devais aller à Manheim, et je reste dans une vilaine maison[1] d’une vilaine petite ville, où je souffre nuit et jour. Ce sont là des tours de la destinée ; mais je me moque de ses tours avec un ami comme vous et un peu de courage. À propos, que deviendra ce courage prétendu, quand on me jouera le nouveau tour d’imprimer la Pucelle ? Il est trop certain qu’il y en a des copies à Paris ; un Chévrier l’a lue. Un Chévrier[2], mon ange ! Il faut s’enfuir je ne sais où. Il est bien cruel de ne pas achever auprès de vous les restes de sa vie. Mille tendres respects à tous les anges.


2809. — À M. DE BRENLES.
Colmar, le 5 novemhre.

Me voilà, monsieur, lié à vous par la plus tendre reconnaissance. Je vous dois faire d’abord l’aveu sincère de ma situation. Je n’ai pas plus de 230,000 livres de France à mettre à une acquisition. Si, avec cette somme, il faut encore payer le sixième, et ensuite mettre un argent considérable en meubles, il me sera impossible d’acheter la terre d’Allaman. Vous savez, monsieur, que quand je vous confiai le dessein que j’ai depuis longtemps de m’approcher de vous, et de venir jouir de votre société, dans le sein de la liberté et du repos, je vous dis que je pouvais tout au plus mettre 200,000 livres de France à l’achat d’une terre. Tout mon bien en France est en rentes dont je ne peux disposer.

  1. Celle de M. Goll, rue des Juifs, où elle porte aujourd’hui (1829) le n° 10. (Cl.)
  2. Voyez lettre 2800.