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le coin de mon feu pendant l’hiver, et le plaisir d’un peu de promenade pendant l’été. Je ne suis point sorti de ma chambre depuis que j’habite Colmar ; je mène la vie d’un philosophe et d’un malade. La conversation de quelques personnes instruites, et surtout la vôtre, monsieur, seraient mes seuls besoins et mes seuls délassements. Je ferai tout ce qui dépendra de moi pour me procurer une retraite aussi douce ; je sens par avance que vous me la rendrez bien chère. Je ne peux pour le présent faire encore aucune disposition. Je vous prie seulement, monsieur, de vouloir bien remercier pour moi la personne qui m’offre l’appartement dont vous me parlez. Il faut aujourd’hui me borner à vous assurer de la sensible reconnaissance avec laquelle j’ai l’honneur d’être, etc.


Voltaire.

2692. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[1].
À Colmar, 10 février 1754.

Madame, j’aurais été un impertinent si, après que Votre Altesse sérénissime a eu la fièvre, je ne l’avais pas eue aussi. C’est ce qui m’a empêché de répondre plus tôt à toutes vos bontés.

Mais, madame, faut-il que la petite-fille d’Ernest le Pieux veuille, par ses générosités, me faire tomber dans le péché de la simonie[2] ? Madame, il n’est pas permis de vendre les choses saintes. L’envie de vous plaire, le bonheur d’obéir à vos ordres m’est plus sacré que toutes les patènes de nos églises. Non, vous ne pouvez ignorer, madame, le plaisir que j’ai eu de faire un ouvrage que Votre Altesse sérénissime a cru pouvoir être utile. Elle m’a permis de l’embellir de son nom ; il a été commencé dans son palais : voilà sans doute la récompense la plus chère. Que la grandeur de votre âme pardonne à ma juste délicatesse.

Grande maîtresse des cœurs, venez ici à mon secours ; je vous en conjure, empêchez la souveraine suprême de votre empire d’embarrasser une âme qui est tout entière à elle. Madame de Buchwald, madame de Sévigné de la Thuringe, parlez ferme. Dites hardiment à madame la duchesse que mon cœur, pénétré de la plus tendre reconnaissance, ne peut absolument accepter ses bienfaits. C’en est trop. N’en ai-je pas été assez comblé ? vous le

  1. Éditeurs, Bavoux et François.
  2. La duchesse lui offrait mille louis pour ses travaux historiques. (A. F.)