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plus jaloux de pallier son tort que de le réparer : il est roi, il a cent cinquantle mille hommes, il peut m’écraser ; mais il ne peut empêcher qu’une âme comme la vôtre ne le condamne secrètement.

Il en sera tout ce qu’il pourra : je suis trop heureux ; les bontés de Votre Altesse sérénissime me consolent de tout. La forêt de Thuringe ne me fait plus trembler. Gotha devient le climat de Naples. Puissé-je, après la révision de mes empereurs, me venir jeter à vos pieds ! Mon cœur y est, il y parle à madame la grande maîtresse : il dit qu’il veut ne respirer que pour Votre Altesse sérénissime ; il est votre sujet jusqu’au tombeau avec le plus profond respect.


2650. — À MADAME LA MARGRAVE DE BAIREUTH[1].
À Strasbourg, 22 septembre (1753).

Madame, je me regarderais comme coupable envers Votre Altesse royale, et je trahirais mes plus chers sentiments si je ne lui écrivais pas dans cette occasion,

Mme la duchesse de Gotha vient de me remplir de surprise et de reconnaissance en me mandant qu’elle a chargé M. de Gotter de parler au roi votre frère, et d’implorer en ma faveur votre protection auprès de Sa Majesté. Votre Altesse royale n’ignore pas que je n’en ai jamais voulu d’autre que la votre. Sans la fatale circonstance et le malheureux voyage de ma nièce, j’aurais été de Leipsick à Baireuth me mettre à vos pieds. Le mal est fait. Mais est-il sans remède ? La philosophie du roi, votre humanité, vos conseils, vos prières, tout cela ne pourra-t-il rien ? Qui dira la vérité à un grand homme, si ce n’est pas vous, madame ? J’avoue, j’ai dit, j’ai écrit au roi, et je dirai toute ma vie que j’ai eu tort de m’opiniâtrer. Mais, madame, est-ce une affaire d’État ? C’est une puérilité de littérature. C’est une querelle d’algèbre, c’est un minimum, et c’est pour cela que j’ai été prisonnier six semaines à Francfort, que j’ai perdu la saison des eaux dans une maladie affreuse, que ma nièce a été traînée par des soldats dans les rues de Francfort ; qu’un malheureux, qui a été seul avec elle pendant la nuit, et qui lui a ôté ses domestiques, l’a voulu outrager ! Ces violences ont été exercées par un nommé Freytag, qui se dit ministre du roi. Le roi ne sait point que c’est

  1. Revue française, mars 1866 ; tome XIII, paire 351.