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La Reynière. Si ce paquet a été égaré, il faut que ma nièce mette toute son activité et tout son esprit à le retrouver.

Vous sentez bien, mon cher ange, combien mon cœur me rappelle vers vous. Je ferai, si je suis en vie, un petit pèlerinage dans mon ancienne patrie. Ni vos ânes de Sorbonne, qui osent examiner Buffon et Montesquieu ; ni le grand âne de Mirepoix, qui prétend juger des livres ; ni votre avocat général d’Ormesson[1], qui propose froidement au parlement d’examiner tout ce qui s’est imprimé depuis dix ans, ni une espèce d’inquisition qu’on veut établir en France, ni vos billets de confession, ne m’empêcheront de venir vous embrasser ; mais, mon cher ange, laissez-moi achever la nouvelle édition du Siècle, dont je suis obligé de corriger les feuilles. Je ne peux absolument interrompre cette édition commencée.

Il y avait dans mon paquet, qui me tient fort au cœur, une lettre à M. Secousse sur ce Siècle ; et j’attends une réponse de M. Secousse pour un article important. Il est dur de travailler de si loin pour sa patrie à un ouvrage qui devrait être fait dans son sein ; mais tel est le sort de la vérité : il faut qu’elle se tienne à quatre cents lieues quand elle veut parler. Plût à Dieu qu’on n’eût à craindre que la canaille des gens de lettres ! mais la canaille des dévots, celle de la Sorbonne, font plus de bruit et sont plus dangereuses. Le Siècle a réussi auprès du petit nombre d’honnêtes gens qui l’ont lu ; mais quand il sera dans les mains de Couturier[2], de Tamponet[3] et du barbier de Boyer de Mirepoix, ils y trouveront des propositions téméraires, hérétiques, sentant l’hérésie, etc. Je ne demanderais pas à Paris la considération d’un sous-fermier sans doute, mais je souhaiterais y être à l’abri de la persécution. Je me flatte que des amis tels que vous ne contribueront pas peu à disposer les esprits. À force d’entendre répéter par des bouches respectables qu’un homme qui a travaillé quarante ans, qui a soutenu la scène tragique, qui a fait le seul poème épique qu’ait la France, qui a tâché d’élever un monument à la gloire de son pays par le Siècle de Louis XIV, mérite au moins de vivre tranquille, comme Moncrif et Hardion ; à force, dis-je, d’entendre cette voix de la justice et de l’amitié, la persécution s’adoucit, et le fanatisme se lasse.

  1. L.-Fr.-de-Paule Lefèvre d’Ormesson, né le 27 juillet 1718, mort premier président du parlement de Paris le 26 janvier 1789. Il est question de lui dans le Tombeau de la Sorbonne, et de son frère aîné, dans la lettre de Voltaire à Damilaville, du 27 janvier 1768.
  2. Voyez, tome X, une note du Mondain.
  3. Voyez tome XXIV, page 24.