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2371. — À M. DE LA CONDAMINE.
À Potsdam, le 29 avril.

Eh ! morbleu, c’est dans le pourpris
Du brillant palais de la lune,
Non dans le benoît paradis,
Qu’un honnête homme fait fortune.


Du moins c’est ce que dit l’Arioste, l’un des meilleurs théologiens que nous ayons. Est-ce qu’il y avait pays au lieu de pourpris dans ma lettre[1] ? Eh hien ! il n’y a pas grand mal. Le conseiller aulique Francheville, mon éditeur, en a fait bien d’autres, et moi aussi ; mais, mon cher cosmopolite, ne me croyez pas assez ignare pour ne pas savoir où est Carthagène : j’y envoie tous les ans plus d’un vaisseau, ou du moins je suis au nombre de ceux qui y en envoient, et je vous jure qu’il vaut mieux avoir ses facteurs dans ce pays-là que d’y aller. Mais, quoique M. de Pointis eût pris Carthagène[2], en deçà de la ligne, cela n’empêche pas que nous n’ayons été fort souvent nous égorger au delà.

Je vous suis sensiblement obligé de vos remarques ; mais il y a bien plus de fautes que vous n’en avez observé. J’ai bien fait des péchés d’omission et de commission. Voilà pourquoi je voudrais que la première édition, qui n’est qu’un essai très-informe, n’entrât point en France. Jugez dans quelles erreurs sont tombés les La Martinière, les Reboulet, et les tutti quanti, puisque moi, presque témoin oculaire, je me suis trompé si souvent. Ce n’est pas au moins sur le maréchal de La Feuillade. Je tiens l’anecdote de lui-même ; mais je ne devais pas en parler. La seconde édition vaudra mieux, et surtout le Catalogue des écrivains, qui, beaucoup plus complet et beaucoup plus approfondi, pourra vous amuser. Je l’avais dicté pour grossir le second tome, qui était trop mince ; mais je le compose à présent pour le rendre utile.

Puisque vous avez commencé, mon cher La Condamine, à me faire des observations, vous voilà engagé d’honneur à continuer. Avertissez-moi de tout, je vous en supplie ; je sais fort bien qu’il n’y a point d’esclaves à la place Vendôme, et je ne

  1. Lettre 2360.
  2. En 1697. Voyez le chapitre xvi du Siècle de Louis XIV.