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Dites-moi, je vous en prie, monseigneur, si je me trompe. J’ai pensé qu’il était fort difficile de faire imprimer dans son pays l’histoire de son pays. M. d’Aguesseau tyrannisait la littérature quand je quittai Paris ; et vous sentez bien qu’il n’y avait pas un petit censeur de livres qui ne se fût fait un mérite et un devoir de mutiler mon ouvrage ou de le supprimer. Vous ne savez pas la centième partie des tribulations que j’ai éprouvées de la part de mes chers confrères les gens de lettres, et de ceux qui se mettent à persécuter quand on n’implore pas leur protection.

Je vous avouerai encore ingénument que j’avais le malheur de déplaire beaucoup à ce théatin Boyer, très-vénérable d’ailleurs, mais qui a très-peu chrétiennement donné d’assez méchantes idées de mon style à monsieur le dauphin et à madame la dauphine. Je vous écrirais sur tout cela des volumes, si je voulais, ou plutôt si vous vouliez ; mais venons à mon Siècle. Je me suis constitué, de mon autorité privée, juge des rois, des généraux, des parlements, de l’Église, des sectes qui la partagent : voilà ma charge. Tout barbouilleur de papier, qui se fait historien, en use ainsi. Ajoutez à ce fardeau celui d’être obligé de rapporter des anecdotes très-délicates qu’on ne peut supprimer.

Comment imprimer à Paris tout ce qui regarde Mme de Montespan et Mme de Maintenon, et son mariage ? Il faut pourtant ou renoncer à l’histoire, ou ne rien supprimer des faits[1]. Il faut faire sentir ce que les suites très-mal ménagées de la révocation de l’édit de Nantes ont coûté à la France ; il faut avouer la mauvaise conduite du ministère dans la guerre de 1701. J’ai dû et j’ai osé remplir tous ces devoirs, peut-être dangereux ; mais, en disant ainsi la vérité, j’ose me flatter jusqu’à présent (car je peux me tromper) que j’ai élevé à la gloire de Louis XIV un monument plus durable que toutes les flatteries dont il a été accablé pendant sa vie. On a fait beaucoup d’histoires de lui ; peut-être ne le trouvera-t-on véritablement grand que dans la mienne.

Vous dirai-je encore que j’ai poussé l’Histoire du Siècle jusqu’au temps présent, dans un Tableau[2] raccourci de l’Europe, depuis la paix d’Utrecht jusqu’en 1750 ? Vous dirai-je que j’ai peint le cardinal de Fleury comme je crois, en ma conscience, qu’il doit l’être ? Vous sentez que tout cela est à vue d’oiseau, presque point

  1. Voyez une phrase de Cicéron, tome XIX, page 362.
  2. Le chapitre qui portait ce titre dans les éditions, antérieures à 1768, du Siècle de Louis XIV, et qui était le xxiiie, a été refondu : une partie forme le chapitre xxiv du Siècle du Louis XIV ; le reste est disséminé dans les chapitres i, ii, et iii du Précis du Siècle de Louis XV.