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maréchal de Richelieu et de ma nièce, croyant que vous m’aimiez toujours, je vous disais bonnement : Mon cher Isaac ! Eh bien ! monsieur, je vous aime de tout mon cœur, je grille de vous embrasser.

Je vous prie de me mettre aux pieds de votre muse, Mme la marquise d’Argens, et je vous prie surtout de me conserver une amitié qui fera ici le bonheur de ma vie.


2274. — À FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
À Berlin.

Par ma foi, ces Anglais, que j’avais crus si sages,
N’ont plus ni rime ni raison.
Avec Pope, avec Addison,
Le bon goût et les bons ouvrages
Ont passé la barque à Caron.
Le soleil sur leur horizon
N’amène plus que des nuages ;
Il faut que chaque nation
Tour à tour ait ses avantages.
Minerve, Thémis, Apollon,
Sont allés sur d’autres rivages,
Assez loin de George Second ;
Et c’est à Sans-Souci, dit-on.
Qu’il faut chercher dans ses voyages
Ce qu’on perdit dans Albion.


Sire, le fait est qu’un Anglais atrabilaire vient d’émouvoir ma bile. Cet homme, dans un écrit pédantesque, reproche à l’auteur des Mémoires de Brandebourg de se contredire ; et sa preuve est que l’illustre auteur loue et blâme les mêmes personnes, croit que la réforme était nécessaire dans l’Église, et ensuite avoue les fautes des réformés, etc. Si je voulais, moi, louer l’auteur de ces Mémoires, je me servirais des mêmes raisons que cet Anglais apporte contre lui. Il faut avoir une tête bien enivrée de l’esprit de parti et de l’esprit de système pour exiger qu’un historien approuve ou condamne sans restriction ! Est-il possible que ce critique n’ait pas senti combien il est digne d’un philosophe et d’un homme qui est à la tête des autres, de peser le bien et le mal, d’estimer dans Louis XIV ce qu’il avait de grand, et de montrer ce qu’il avait de faible, d’approuver la réforme, et de faire voir les défauts des réformateurs ? Mais un Anglais veut qu’on soit toujours partial, ou tout whig, ou tout tory, et la raison, qui est impartiale, ne