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2149. — À MADAME DENIS.
À Potsdam, le 24 novembre.

Le soleil levant[1] s’est allé coucher. Ce pauvre d’Arnaud s’ennuyait ici mortellement de ne voir ni roi ni comédienne, et de n’avoir que des baïonnettes devant le nez. Il avait épuisé son crédit à faire jouer à Charlottenbourg, il y a quelque temps, sa comédie du Mauvais Riche ; mais les pièces tirées du Nouveau Testament ne réussissent pas ici : elle fut mal reçue. Il s’est regardé comme Ovide, dont on aurait sifflé une élégie chez les Gètes. Tout cela, joint à un peu de chagrin de voir moi, soleil couchant, passablement bien traité, l’a porté à demander son congé fort tristement. Le roi lui a ordonné très-durement de partir dans vingt-quatre heures[2] ; et, comme les rois sont accablés d’affaires, il a oublié de lui payer son voyage. Mon enfant, mon triomphe m’attriste. Cela fait faire de profondes réflexions sur les dangers de la grandeur. Ce d’Arnaud avait une des plus belles places du royaume. Il était garçon-poëte du roi, et Sa Majesté prussienne avait fait pour lui des versiculets très-galants. Nous n’avons point, depuis Bélisaire, de plus terrible chute. Comme le monarque traite un de ses deux soleils ! Je lui avais écrit sur la route, quand j’allais à sa cour :


Quel diable de Marc-Antonin[3],
Et quelle malice est la vôtre !
Vous égratignez d’une main,
Lorsque vous caressez de l’autre.

On me fait plus que jamais patte de velours ; mais… Adieu, adieu ; je brûle de venir vous embrasser.


2150. — DU COMTE D’ARGENTAL[4].
Paris, ce 24 novembre 1750.

Je vous demande pardon d’avance, mon cher ami, de la lettre que je vais vous écrire. Je ne vous y parlerai que du sieur Baculard d’Arnaud.

  1. Voyez la lettre 2100.
  2. La reine Élisabeth-Christine écrit à son frère le duc Ferdinand de Brunswick, de Berlin le 21 novembre 1750 : « M. d’Arnaud est parti aujourd’hui pour retourner en France ; il s’est brouillé avec Voltaire. »
  3. Voyez la lettre 2100.
  4. Cette lettre a été publiée par Formey, dans ses Souvenirs d’un citoyen,