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avec le sien. Mais moi, je suis avec vous deux. Adieu, bonsoir, charmant ami. Je vais m’enfoncer dans le travail, qui, après l’amitié, est une grande consolation.


1458. — À M. DE LOCMARIA[1].
Bruxelles, le 17 juillet.

J’ai reçu, monsieur, le mémoire des vexations juridiques que vous avez essuyées. Je suis très-sensible à votre souvenir et à vos peines. Du temps d’Anne de Bretagne, vous auriez gagné votre procès tout d’une voix. La jurisprudence a changé. Il est plaisant qu’on ait raison par delà la Loire, et tort en deçà[2] ; mais les hommes ne savent pas mieux, et il faut que leur justice se ressente de leur misérable nature.

Recevez aussi mes remerciements sur l’estampe[3] de M. de Maupertuis. Il est beau à vous de songer, entre les griffes de la chicane, à la gloire de votre ami et de votre compatriote. L’estampe est digne de lui, et je me sens bien indigne de joindre mes crayons à ce burin-là. Une inscription latine me déplaît, parce que je suis bon Français. Je trouve ridicule que nos jetons, nos médailles, et nos louis, soient latins. En Allemagne, en Angleterre, la plupart des devises sont françaises il n’y a que nous qui n’osions pas parler notre langue dans les occasions où les étrangers la parlent. Je sens très-bien qu’il faudrait faire toutes les inscriptions en français, mais aussi cela est trop difficile. La marche de notre langue est trop gênée ; notre rime délaye en quatre vers ce qu’un vers latin pourrait facilement exprimer. Ni vous ni moi ne serions contents du chétif quatrain que voici[4] :

Ce globe mal connu, qu’il a su mesurer,
Devient un monument où sa gloire se fonde ;
Son sort est de fixer la figure du monde,
De lui plaire, et de l’éclairer.

Si vous voulez mieux, comme de raison, faites les vers vous-même, ou, à votre refus, qu’il les fasse. Despréaux a bien eu le

  1. Jean-Marie-François du Parc, marquis de Locmaria, mort à l’âge de trente-sept ans, le 2 octobre 1745. Il appartenait à une ancienne famille de Bretagne.
  2. Voltaire revient souvent sur cette idée voyez, entre autres, tome XXIII, page 495.
  3. Cette estampe, gravée par Jean Daullé, d’après de Tournière, représentait Maupertuis enveloppé de fourrures et aplatissant un globe.
  4. Ce quatrain fut gravé au bas d’un portrait de M. de Maupertuis. (K.)