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Qu’importent leurs aüeux, leur trône, leurs exploits
S’ils ne font point de vers, ils ne sont point mes rois.
Je consens qu’on soit bon, juste, grand, magnanime,
Que l’on soit conquérant, mais je prétends qu’on rime.
Protecteur d’Apollon, grand génie, et grand roi,
Battez-vous, écrivez, et surtout aimez-moi.

Sire, le plus prosaïque de vos serviteurs ne peut rimer davantage. Je suis actuellement enfoncé dans l’histoire[1] ; elle devient tous les jours plus chère pour moi, depuis que je vois le rang illustre que vous y tiendrez. Je prévois que Votre Majesté s’amusera quelque jour à faire le récit de ces deux campagnes[2] : heureux qui pourrait être alors son secrétaire ! mais aussi très-heureux qui sera son lecteur ! C’est aux Césars à faire leurs Commentaires. MM. de La Croze[3] et Jordan, de grâce, prêtez-moi vos vieux livres et vos lumières nouvelles, pour les antiques vérités que je cherche mais quand je serai arrivé au siècle illustré par Frédéric, permettez-moi d’avoir recours directement à notre héros. Que vous êtes heureux, ô Jordan ! Vous le voyez, ce héros, et vous avez de plus une très-belle bibliothèque il n’en est pas ainsi de moi : je n’ai point ici de héros, et j’ai très-peu de livres. Cependant je travaille, car les gens oisifs ne sont pas faits pour lui plaire.

De son sublime esprit la noble activité
Réveillerait dans moi la molle oisiveté.
Tout mortel doit agir, roi, fermier, soldat, prêtre :
À ces conditions le ciel nous donna l’être ;
Le plaisir véritable est le fruit des travaux.
Grand Dieu, que de plaisir doit goûter mon héros !

Je suis de Sa Majesté, de Son Humanité, de son activité, de son esprit, et de son cœur, l’admirateur et le sujet.


1456. — À M. DE MAUPERTUIS.
À Bruxelles, le 1er juillet.

Je suis très-mortifié, monsieur, que vous soyez assez leibnitzien pour imaginer que vous avez une raison suffisante d’être

  1. C’est en 1740 et années suivantes que Voltaire composa son grand ouvrage historique connu sous le titre d’Essai sur les Mœurs, etc.
  2. Le roi de Prusse, dans son Histoire de mon temps, donne l’histoire de ses campagnes en 1740, 41, 42, 43, 44 et 45.
  3. La Croze était mort le 21 mai 1739 voyez tome XXXV, page 277.