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endroit où le projet de la conjuration soit clairement développé ; on ignore quel était le véritable dessein de Catilina, et il me semble que sa conduite est celle d’un homme ivre. Vous aurez remarqué encore que les interlocuteurs varient à chaque scène ; il semble qu’ils n’y viennent que pour faire changer de dialogue à Catilina. On peut retrancher de la pièce, sans y rien changer, Lentulus et les ambassadeurs gaulois, qui ne sont que des personnages inutiles, pas même épisodiques. Le quatrième acte est le plus mauvais de tous ; ce n’est qu’un persiflage ; et, dans le cinquième acte, Catilina vient se tuer dans le temple, parce que l’auteur avait besoin d’une catastrophe. Il n’y a aucune raison valable qui l’amène là ; il semble qu’il devait sortir de Rome, comme fit effectivement le vrai Catilina.

Ce n’est que la beauté de l’élocution et le caractère de Catilina qui soutiennent cette pièce sur le théâtre français. Par exemple, lorsque Catilina est amoureux, c’est comme un conjuré rempli d’ambition doit l’être.


C’est l’ouvrage des sens, non le faible de l’âme.

(Acte I, scène i.)

Quelle force n’y a-t-il pas dans ces caractères rapides de Cicéron et de Caton :


Timide, soupçonneux, et prodigue de plaintes ! etc.

(Acte I, scène iii.)

En un mot, cette pièce me parait un dialogue divinement rimé. Souvenez-vous cependant que la critique est aisée, et que l’art est difficile[1]. Je n’ai compté vous revoir que cet été ; si cela se peut, et que vous fassiez un tour ici au mois de juillet, cela me fera beaucoup de plaisir. Je vous promets la lecture d’un poëme[2] épique de quatre mille vers ou environ, dont Valori est le héros ; il n’y manque que cette servante[3] qui alluma dans vos sens des feux séditieux que sa pudeur sut réprimer vivement. Je vous promets même des belles plus traitables. Venez sans dents, sans oreilles, sans yeux, et sans jambes, si vous ne le pouvez autrement ; pourvu que ce je ne sais quoi qui vous fait penser et qui vous inspire de si belles choses soit du voyage, cela me suffit.

Je recevrai volontiers les fragments des campagnes de Louis XV, mais je verrai avec plus de satisfaction encore la fin du Siècle de Louis XIV. Vous n’achevez rien, et cet ouvrage seul ferait la réputation d’un homme. Il n’y a plus que vous de poëte français, et que Voltaire et Montesquieu qui écrivent en prose. Si vous faites divorce avec les Muses, à qui sera-t-il désormais permis d’écrire, ou, pour mieux dire, de quel ouvrage moderne pourra-t-on soutenir la lecture ?

Ne boudez donc point avec le public, et n’imitez point le dieu d’Abra-

  1. La critique est aisée et l’art est difficile.

    (Destouches, le Glorieux, acte II, scène v.)
  2. Le Palladion ; voyez une note de la lettre 1947.
  3. Voyez la lettre 1972.