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Mme du Châtelet avait donc oublié que je lui avais fait, de votre part, compliment sur cette charge ? Je ne lui en ai pas fait de la mienne, car cette charge est une chimère. Il n’y a de bon que les appointements, et, ce qui vaut encore mieux, le bonheur de vivre avec un roi qui est, en vérité, presque aussi aimable que vous.

Nous partons ; je passe d’un ciel dans un autre ; je vais du roi Stanislas à vous ; je n’étais pas son sujet, mais je suis le vôtre.

Bonsoir, adorables créatures.


1936. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Le 31 décembre.

Je ne suis point étonné de la chute de Catilina[1] ; l’auteur n’avait pas consulté mes anges. Ce n’est pas avec une cabale, c’est avec des amis éclairés et sévères qu’on fait réussir un ouvrage.

Ce que vous me dites, mon cher et respectable ami, me persuade que Catilina ne durera pas longtemps. La cabale veut bien crier, mais elle ne veut pas s’ennuyer, et il n’y a personne qui aille bâiller deux heures pour avoir le plaisir de me rabaisser. Sémiramis est entièrement à vos ordres : elle ne se remontrera que quand vous l’ordonnerez.

Je me conduis, je crois, un peu moins insolemment que Crébillon : il méritait un peu sa chute par tous les petits indignes procédés qu’il a eus avec moi ; par la sottise qu’il a faite de mettre son nom[2] au bas des brochures de la canaille qui le louait à mes dépens ; par l’approbation qu’il a donnée à la parodie ; par la mauvaise grâce avec laquelle il voulait retrancher de mon ouvrage des vers que vous approuviez. On ne peut pas abuser davantage de la misérable place qu’il a de censeur de la police. Sa conduite est cent fois plus mauvaise que celle de sa pièce ; mais je ne dis cela qu’à vous, mes anges.

Je suis bien fâché de l’état languissant où est encore Mme d’Argental ; je compte lui écrire quand je vous écris. Le digne coadjuteur devrait bien m’envoyer ses remarques sur Catilina. Un plan écrit de sa main, avec cette éloquence que je lui connais, amuserait bien Mme du Châtelet dans sa solitude. Nous ne reve-

  1. Tragédie de Crébillon, jouée le 21 décembre 1748 ; voyez tome XXIV, page 359.
  2. Voyez la note 3, page 548.