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Je laisse la félicité
Dont on prétend qu’elle est suivie
À quelque docteur entêté,
Dont l’âme au plaisir engourdie
Ne vit que dans l’éternité ;
À cette engeance triste et folle
Des Malebranche de l’école,
Grands alambiqueurs d’arguments,
Dont la raison et le bon sens
Subtilement des bancs s’envole,
Attendant un Roland nouveau
Qui, par pitié pour leur cerveau,
Aille recouvrer leur fiole.
Pour moi, qui me ris de ces fous,
Je m’abandonne sans faiblesse
Aux plaisirs que m’offrent mes goûts ;
Et, lorsque mon démon m’oppresse,
Aux riches sources du Permesse
J’ose encor puiser quelquefois.
Mais l’âge fane ma jeunesse ;
Mon front, sillonné par ses doigts,
M’apprend, hélas ! que la vieillesse
Vient pour me ranger sous ses lois.
Adieu, beaux jours, plaisirs, folie,
Brillante imagination,
Enfants de mon naissant génie ;
Adieu, pétillante saillie,
Vos charmes sont hors de saison ;
Et la sagesse, me dit-on,
Doit, sur la physionomie
D’un républicain de Platon,
Imprimer l’air froid de Caton.
Adieu, beaux vers, douce harmonie,
Frénétique métromanie,
Immortelle cour d’Apollon,
Qui jurez dans la compagnie
De la pourpre et de la raison ;
Ma muse, du Pinde proscrite,
M’avertit que son dieu la quitte.
Ainsi donc j’abandonnerai
Cette séduisante carrière ;
Mais, tant que je vous y verrai,
Assis auprès de la barrière,
Battant des mains, j’applaudirai.

Je vous rends un peu de laiton pour de l’or pur que vous m’avez envoyé. Il n’est en vérité rien au-dessus de vos vers. J’en ai vu que vous adressez à Algarotti, qui sont charmants[1] mais ceux qui sont pour moi[2] sont encore au-dessus des autres.

La Sémiramis m’est parvenue en même temps, remplie de grandes

  1. C’est sans doute l’Épître du 21 février (tome X).
  2. Voyez les vers qui sont au commencement de la lettre 1862.