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J’ai grand intérêt que vous consultiez toujours avec moi votre propre cœur. Le mien est toujours plein pour vous de la plus véritable amitié, et vous me trouverez toujours tel que j’ai été dans tous les temps.

Adieu, je vous embrasse de tout mon cœur j’attends pour vous le mois de juin avec plus d’impatience que l’élection d’un empereur car peu m’importe qu’il y ait des césars, et il m’importe beaucoup que mon ami soit heureux.


1428. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
À Bruxelles, le 7 avril.

Ô vous, qui cultivez les vertus du vrai sage,
L’amour des arts et l’amitié,
Vous dont la charmante moitié
Augmente encor vos goûts, puisqu’elle les partage !
De mon esprit lassé qu’énervait sa langueur
Vous avez ranimé la verve dégoûtée ;
Vous rallumez dans moi ce feu de Prométhée
Dont la froide physique avait éteint l’ardeur.
Ranimez donc Paris où les beaux-arts gemissent
Sans récompense et sans appui.
Qu’on pense comme vous, j’y revole aujourd’hui.

Mais de la France, hélas ! les jours heureux finissent ;
Apollon négligé fuit en d’autres climats.
De nos maîtres en vain j’avais suivi les pas,
En vain par une heureuse et pénible industrie
J’ai d’un poëme épique enrichi ma patrie.
Hélas ! quand je courais la carrière des arts,
La détestable Envie, aux farouches regards,
La Persécution m’accabla de ses armes.
Sur mes lauriers flétris je répandis des larmes,
Je maudis mes travaux, et mon siècle, et les arts.
Je fuyais une gloire ou funeste ou frivole
Qui trompe ses adorateurs.
Mais vous me rengagez ; un ami me console
Des jaloux, des bigots, et des persécuteurs.

C’est vous, mon cher ange gardien, qui m’encourageâtes à donner Alzire ; c’est vous qui avez corrigé Mahomet ; et je ne veux que vos conseils et vos suffrages. Il n’y a plus moyen de le faire jouer à Paris, après le départ de Dufresne mais j’ai voulu au moins essayer quel effet il ferait sur le théâtre. J’ai à Lille des