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Le triomphe est la plus belle chose du monde : les vive le roi ! les chapeaux en l’air au bout des baïonnettes ; les compliments du maître à ses guerriers ; la visite des retranchements, des villages, et des redoutes si intactes ; la joie, la gloire, la tendresse. Mais le plancher de tout cela est du sang humain, des lambeaux de chair humaine.

Sur la fin du triomphe, le roi m’honora d’une conversation sur la paix. J’ai dépêché des courriers.

Le roi s’est fort amusé hier à la tranchée on a beaucoup tiré sur lui ; il y est resté trois heures. Je travaillais dans mon cabinet, qui est ma tranchée : car j’avouerai que je suis bien reculé de mon courant, par toutes ces dissipations. Je tremblais de tous les coups que j’entendais tirer. J’ai été avant-hier voir la tranchée en mon petit particulier ; cela n’est pas fort curieux de jour. Aujourd’hui nous aurons un Te Deum sous une tente, avec une salve générale de l’armée, que le roi ira voir du mont de la Trinité. Cela sera beau.

J’assure de mes respects Mme du Châtelet. Adieu, monsieur.

d’Argenson.

1726. — À MADAME LA MARQUISE DE POMPADOUR[1].

Quand César, ce héros charmant,
De qui Rome était idolâtre,
Battait le Belge ou l’Allemand,
On en faisait son compliment
À la divine Cléopâtre.
Ce héros des amants ainsi que des guerriers
Unissait le myrte aux lauriers ;
Mais l’if est aujourd’hui l’arbre que je révère,
Et, depuis quelque temps, j’en fais bien plus de cas

  1. Jeanne-Antoinette Poisson, fille d’un boucher ou d’un paysan, naquit en 1722, et fut mariée au sous-fermier Le Normand, seigneur d’Étiolles. Devenue maîtresse en titre de Louis XV, après la mort de la duchesse de Châteauroux, elle fut créée marquise de Pompadour par lettres patentes de 1745. Mme de Pompadour régna sur la France en régnant sur le faible Louis XV ; aussi le malin Frédéric, connu par des goûts différents, appelait-il, vers le commencement de 1774, Mmes de Châteauroux, de Pompadour, et du Barry, Cotillon Ier, Cotillon II, et Cotillon III. (Cl.)

    — C’est à tort qu’on a toujours classé cette lettre à l’année 1747. Elle est de 1745, et les vers faits à propos de la victoire de Fontenoy ont été remaniés depuis. À la place des six derniers, il faut lire :

    Quand Louis, ce héros charmant
    Dont tout Paris fait son idole,
    Gagne quelque combat brillant,
    On doit en faire compliment
    À la divine d’Étiolle.

    À ce moment, Mme d’Étiolles n’avait pas encore son brevet de marquise de Pompadour. (G. A.)