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À ce grand œil tendre et hautain[1],
Soudain je reconnus Christine.
Christine des arts le soutien,
Christine qui céda pour rien
Et son royaume et votre Église,
Qui connut tout et ne crut rien,
Que le saint-père canonise,
Que damne le luthérien,
Et que la gloire immortalise.

Elle me demanda si tout ce qu’on disait de madame la princesse royale était vrai. Moi, qui n’avais pas l’esprit assez libre pour adoucir la vérité, et qui ne faisais pas réflexion que les dames et quelquefois les reines peuvent être un peu jalouses, je me laissai aller à mes transports, et je lui dis que Votre Altesse royale était à Stockholm, comme à Berlin, les délices, l’espérance et la gloire de l’État. Elle poussa un grand soupir et me dit ces mots

« Si comme elle j’avais gagné
Les cœurs et les esprits de la patrie entière,
Si comme elle toujours j’avais eu l’art de plaire,
J’aurais toujours voulu régner.
Il est beau de quitter l’autorité suprême,
Il est encor plus beau d’en soutenir le poids.
Je cessai de régner pouvant donner des lois.
Ulric règne sans diadème,
Je descendis pour m’élever.
Je recherchais la gloire, et son cœur la mérite,
J’étonnai l’univers, qu’elle a su captiver,
On a pu m’admirer, mais il faut qu’on l’imite. »

Je pris la liberté de lui répondre que ce n’était pas là un conseil aisé à suivre ; elle eut la bonne foi d’en convenir. Il me parut qu’elle aimait toujours la Suède, et que c’était la véritable raison pour laquelle elle vous pardonnait toutes vos grandes qualités, qui feront le bonheur de sa patrie. Elle me demanda si je n’irais point faire ma cour à Votre Altesse royale, dans ce beau palais que M. Hourleman vous fait bâtir. « Descartes vint bien me voir, dit-elle, pourquoi ne feriez-vous pas le voyage ?

  1. Beuchot ajoute  :
    Moins beau que le vôtre et moins fin.
    Christine aurait toujours régné.
    (Var. Beuchot.)