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voudrais bien avoir fait en peu de paroles ; mais j’ai peur d’être long, et j’en suis fâché pour nous deux, malgré tout le plaisir que j’ai de m’entretenir avec vous.

J’ai reçu votre présent ; je vous en remercie doublement, car j’y trouve amitié et instruction, les deux choses du monde que j’aime le mieux, et que vous me rendez encore plus chères.

Parlons d’abord de Mme du Châtelet, car cette adversaire-là vaut mieux que votre disciple. Vous lui dites, dans votre lettre imprimée[1], qu’elle n’a commencé sa rébellion qu’après avoir hanté les malintentionnés leibnitziens. Non mon cher maître, pas un mot de cela, croyez-moi j’ai la preuve par écrit de ce que je vous dis.

Elle commença à chanceler dans la foi un an avant de connaître l’apôtre des monades, qui l’a pervertie, et avant d’avoir vu Jean Bernouilli[2], fils de Jean.

La manière d’évaluer les forces motrices par ce qu’elles ne font point la révolta. Un très-célèbre géomètre[3] fut entièrement de son avis je n’en fus point, malgré toutes les raisons qui devaient me séduire. Tenez-m’en compte, si vous voulez ; mais je regarde ma persévérance comme une très-belle action.

Mme du Châtelet vous répondra probablement[4]. Je souhaite qu’elle ait une réplique ; elle mérite que vous entriez un peu dans des détails instructifs avec elle. Je crois que le public et elle y gagneront. Vous ferez comme les dieux d’Homère, qui, après s’être battus, n’en reçoivent pas moins en commun l’encens des hommes. Voilà pour Mme du Châtelet. Venons à votre serviteur.

Premièrement, je vous déclare que je crois fermement à la simple vitesse multipliée par la masse. Mais, quand je dis qu’il faut l’appliquer au temps, je dis ce que le docteur Clarke dit le premier à Leibnitz et quand je dis que deux pressions en deux temps donnent deux de vitesse et quatre de force, je n’avoue rien dont les adversaires tirent avantage car je ne veux dire autre chose sinon que l’action est quadruple en deux temps.

  1. Lettre de M. de Mairan, secrétaire perpétuel de l’Académie royale des sciences, etc., à Mme du Chastelet ; in-8o de 38 pages. Cette lettre est datée du 18 février 1741.
  2. Né le 27 juillet 1667.
  3. Sans doute Clairaut, qui passa par Cirey vers le mois de février 1739, avec Maupertuis et Bernouilli.
  4. C’est ce qu’elle fit dans la Réponse de madame *** à la lettre que M. de Mairan, secrétaire perpétuel de l’Académie royale des sciences, lui a écrite le 18 février 1741, sur la question des forces vives ; Bruxelles, Foppens, 1741, petit in-8o de 45 pages. Cette réponse est datée du 26 mars.