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perdues. Je vous remercie bien tendrement de ce que vous avez daigné dire un mot de mon griffonnage.

Je m’occupe à présent à tâcher d’amuser par des fêtes celui que je voudrais servir par mes plaidoyers ; mais j’ai bien peur de n’être ni amusant ni utile.

Il est bien ridicule que je ne vous aie pas encore contemplé depuis votre nouvelle grandeur. Je suis toujours bien aise de vous dire que les ministres étrangers sont enchantés de vous. Il me paraît qu’ils aiment vos mœurs, et qu’ils respectent votre esprit. Ce que je vous dis là est à la lettre.

Comptez sur la véracité de votre ancien et très-ancien serviteur. Je me flatte d’accompagner votre amie dans votre château[1], à quatre lieues de Paris, et de vous y faire ma cour.


1688. — À M. DE VAUVENARGUES.
Décembre.

L’état où vous m’apprenez que sont vos yeux a tiré, monsieur, des larmes des miens ; et l’éloge funèbre[2] que vous m’avez envoyé a augmenté mon amitié pour vous, en augmentant mon admiration pour cette belle éloquence avec laquelle vous êtes né. Tout ce que vous dites n’est que trop vrai, en général. Vous en exceptez sans doute l’amitié. C’est elle qui vous a inspiré, et qui a rempli votre âme de ces sentiments qui condamnent le genre humain. Plus les hommes sont méchants, plus la vertu est précieuse et l’amitié m’a toujours paru la première de toutes les vertus, parce qu’elle est la première de nos consolations. Voilà la première oraison funèbre que le cœur ait dictée ; toutes les autres sont l’ouvrage de la vanité. Vous craignez qu’il n’y ait un peu de déclamation. Il est bien difficile que ce genre d’écrire se garantisse de ce défaut ; qui parle longtemps parle trop sans doute. Je ne connais aucun discours oratoire où il n’y ait des longueurs. Tout art a son endroit faible ; quelle tragédie est sans remplissage, quelle ode sans strophes inutiles ? Mais, quand le bon domine, il faut être satisfait d’ailleurs, ce n’est pas pour le public que vous avez écrit : c’est pour vous, c’est pour le soula-

  1. Le marquis d’Argenson habitait le château de Segrès, dans la commune de Saint-Sulpice-de-Favières(Seine-et-Oise), aux environs d’Arpajon mais le château de Segrès est à neuf lieues de Paris.
  2. L’Éloge de Paul-Hippolyte-Emmanuelde Seitres de Caumont, jeune officier qui servait dans le même régiment que Vauvenargues, son ami, et qui mourut à Prague, au mois d’avril 1742. (Cl.)