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Savez-vous bien, monsieur, que mon plus grand chagrin n’est pas de ne vous avoir point écrit, mais de passer ma vie sans vous faire ma cour ? Je vous la ferai, je vous jure ; mais quand ? Vous ne soupez point, je ne dîne point ; vous allez entendre au conseil des choses assommantes, et j’en fais de frivoles. N’importe, il faut absolument que je reprenne mon habitude de vous soumettre mes rêveries :

Dum validus, dum lætus eris, dum denique posces.

(Hor., lib. I, ep. xiii, v. 3.)

Mes respects, si vous le permettez, à monsieur votre fils tout comme à vous ; mais, malgré mon long et coupable silence, je vous suis dévoué avec l’attachement le plus tendre et le plus vieux. Il y a, ne vous déplaise, plus de quarante ans cela fait frémir.

Adieu, monsieur ; aimez-moi un peu, je vous en supplie ; que j’aie cette consolation dans cette courte vie. Il y a quarante ans, ô ciel que je vous aime, et je n’ai pas eu l’honneur de vivre avec vous la valeur de quarante jours ! Ah ! ah !


1669. – À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Le 9 août.

Adorable ami, je reçois votre lettre. Vous corrigez la Princesse de Navarre et Prault ; il faut que je vienne vous remercier de tous vos bienfaits. Mme du Châtelet et Dieu me sont témoins que je rapetassais la scène manquée, quand votre lettre est venue. Songez qu’il n’y a pas encore trois mois que j’ai entrepris un ouvrage extrêmement difficile, qui demanderait plus de six mois d’un travail assidu pour être tolérable. Je n’ai jamais travaillé aux divertissements qu’à regret et à la hâte, ne pouvant les bien faire que quand la pièce achevée me laissera de la liberté dans l’esprit.

Tout malade que je suis, je n’en ai pas moins d’envie de vous plaire. Une fille d’Éole, nommée Arné, avec qui Neptune eut une passade, viendra très-bien à la place de Calisto. Il n’y a qu’à substituer aux quatre vers de Calisto ces quatre-ci :

De l’empire inconstant des airs
La fille d’Éole
Descend et revole
Près du dieu des mers[1].

  1. On ne trouve pas ces vers dans la Princesse de Navarre.