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dant que je travaille pour lui, qu’il me joue un si vilain tour ! Il ne sent pas qu’il y perd, que son édition se vendrait mieux et ne serait point étouffée par d’autres si elle était bonne.

Mais presque tous les libraires sont ignorants et fripons ; ils entendent leurs intérêts aussi mal qu’ils les aiment avec fureur. La mauvaise foi de Prault me fait d’autant plus de peine que je me flattais que cette même édition, corrigée selon mes vues, serait celle dont je serais le plus content. Vous allez trouver ma douleur trop forte ; mais vous n’êtes pas père : pardonnez aux entrailles paternelles, vous qui êtes le parrain et le protecteur de tous mes enfants. Adieu, mon cher et respectable ami ; Mme du Châtelet vous dit toujours des choses bien tendres : car comment ne vous pas aimer tendrement ? Mille respects à tous les anges.

P. S. Permettez que le bavard dise encore un petit mot de la Princesse de Navarre et du duc de Foix. Il m’est devenu important que cette drogue soit jouée, bonne ou mauvaise. Elle n’est pas faite pour l’impression ; elle produira un spectacle très-brillant et très-varié ; elle vaut bien la Princesse d’Élide, et c’est tout ce qu’il faut pour le courtisan, mais c’est aussi ce qu’il me faut. Cette bagatelle est la seule ressource qui me reste, ne vous déplaise, après la démission de M. Amelot[1], pour obtenir quelque marque de bonté qu’on me doit pour des bagatelles d’une autre espèce dans lesquelles je n’ai pas laissé de rendre service. Entrez donc un peu, mon cher ange, dans ma situation, et songez plutôt ici à votre ami qu’à l’auteur, et au solide qu’à la réputation. Je ferai pourtant de mon mieux pour ne pas perdre celle-ci.

Voltaire.

Autre bavarderie. Je suis pourtant toujours pour cet arbre chargé de trophées, dont les rameaux se réunissent. Est-ce encore ce coquin de M. le chevalier Roi qui m’a volé cette idée ? Je viens de lire Nirée[2]. Je ne sais si je me trompe, mais cela ne me parait écrit ni naturellement ni correctement.

Ces deux choses manquant font déteslablement[3].

J’en demande pardon à monsieur le chevalier.

  1. Renvoyé le 26 avril 1744.
  2. C’était la cinquième entrée du Ballet de la Paix ; paroles de Roi, musique de Rebel et Francœur.
  3. Parodie de ce vers des Femmes savantes, acte III, scène ii :
    Ces deux adverbes joints font admirablement.