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hommes seulement. Tous les autres historiens lui en donnaient vingt mille ; ils disaient ce qui était vraisemblable, et M. de Voltaire a dit le premier la vérité dans cet article important. Cependant vous l’appelez archi-menteur, parce qu’il fait porter au général Liewen un habit rouge galonné au siège de Thorn ; et vous relevez cette erreur énorme, en assurant positivement que le galon n’était pas sur un fond rouge.

Mais, monsieur, vous qui prodiguez sur des choses si graves le beau nom d’archi-menteur, non-seulement à un homme très-amateur de la vérité, mais à tous les autres historiens qui ont écrit l’histoire de Charles XII, quel nom voudriez-vous qu’on vous donnât, après la lettre que vous rapportez du Grand Seigneur à ce monarque ? Voici le commencement de cette lettre[1] :

« Nous sultan bassa, au roi Charles XII, par la grâce de Dieu roi de Suède et des Goths, salut, etc. »

Vous qui avez été chez les Turcs, et qui semblez avoir appris d’eux à ne pas ménager les termes, comment pouvez-vous ignorer leur style ? Quel empereur turc s’est jamais intitulé sultan bassa ? Quelle lettre du divan a jamais ainsi commencé ? Quel prince a jamais écrit qu’il enverra des ambassadeurs plénipotentiaires à la première occasion pour s’informer des circonstances d’une bataille ? Quelle lettre du Grand Seigneur a jamais fini par ces expressions : à la garde de Dieu ? Enfin, où avez-vous jamais vu une dépêche de Constantinople, datée de l’année de la création, et non pas de l’année de l’hégire ? L’iman de l’auguste sultan, qui écrira l’histoire de ce grand empereur et de ses sublimes vizirs, pourra bien vous dire de grosses injures, si la politesse turque le permet.

Vous sied-il bien, après la production d’une pièce pareille, qui ferait tant de peine à ce M. le baron de Puffendorf, de crier au mensonge sur un habit rouge ?

Êtes-vous bien d’ailleurs un zélé partisan de la vérité, quand vous supprimez les duretés exercées par la chambre des liquidations sous Charles XI ? quand vous feignez d’oublier, en parlant de Patkul, qu’il avait défendu les droits des Livoniens qui l’en avaient chargé, de ces mêmes Livoniens qui respirent aujourd’hui sous la douce autorité de l’illustre Sémiramis du Nord[2] ? Ce n’est pas là seulement trahir la vérité, monsieur c’est trahir la cause

  1. Page 137 de l’Histoire de Charles XII, par Nordberg, édition de Cusson. (Note de Voltaire.)
  2. Élisabeth Petrowna, fille de Pierre le Grand, née le 29 décembre 1710, morte le 29 décembre 1761.