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1607. — À M. AMELOT,
ministre des affaires étrangères.
À Charlottenbourg, ce 3 septembre.

Aujourd’hui, après un dîner plein de gaieté et d’agréments, le roi de Prusse est venu dans ma chambre ; il m’a dit qu’il avait été fort aise de prier hier monsieur l’envoyé de France, seul de tous les ministres, non-seulement pour lui donner des marques de considération, mais pour inquiéter ceux qui seraient fâchés de la préférence.

Je lui répondis que l’envoyé de France serait bien plus content si Sa Majesté envoyait quelques troupes à Wesel et à Magdebourg. « Mais, dit-il, que voulez-vous que je fasse ? Le roi de France me pardonnera-t-il jamais une paix particulière ?

— Sire, lui dis-je, les grands rois ne connaissent point la vengeance : tout cède à l’intérêt de l’État ; vous savez si l’intérêt de Votre Majesté et de la France n’est pas d’être à jamais unis.

— Comment puis-je croire, dit alors le roi de Prusse, que la France soit dans l’intention de se lier fermement avec moi ? Je sais que votre envoyé à Mayence fait des insinuations contre mes intérêts, et qu’on propose la paix avec la reine de Hongrie, le rétablissement de l’empereur, et un dédommagement à mes dépens.

— J’ose croire, répliquai-je, que cette accusation est un artifice des Autrichiens, qui leur est trop ordinaire. Ne vous ont-ils pas calomnié ainsi au mois de mai dernier ? N’ont-ils pas écrit en Hollande que vous aviez offert à la reine de Hongrie de vous joindre à elle contre la France ?

— Je vous jure, me dit-il, mais en baissant les yeux, que rien n’est plus faux. Que pourrais-je y gagner ? Un tel mensonge se détruit de soi-même.

— Eh bien sire, pourquoi donc ne vous pas réunir hautement avec la France et l’empereur contre l’ennemi commun, qui vous hait, et qui vous calomnie tous deux également ? Quel autre allié pouvez-vous avoir que la France ?

— Vous avez raison, reprit-il vous savez aussi que je cherche à la servir, vous connaissez ce que je fais en Hollande. Mais je ne peux agir hautement que quand je serai sûr d’être secondé de l’empire : c’est à quoi je travaille à présent, et c’est le véritable but du voyage que je fais à Baireuth dans huit ou dix jours. Je veux être assuré au moins que quelques princes de l’empire,