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laquelle je me suis plaint à lui très-vivement et très-inutilement des calomnies de ses délateurs et de ses espions. Je ne fléchis point le genou devant Baal ; et autant que je respecte mon roi, autant je méprise ceux qui, à l’ombre de son autorité, abusent de leur place, et qui ne sont grands que pour faire du mal.

Vous seul, sire, me consolez de tout ce que je vois ; et quand je suis prêt à pleurer sur la décadence des arts, je me dis Il y a dans l’Europe un monarque qui les aime, qui les cultive, et qui est la gloire de son siècle ; je me dis enfin : Je le verrai bientôt, ce monarque charmant, ce roi homme, ce Chaulieu couronné, ce Tacite, ce Xénophon ; oui, je veux partir ; Mme du Châtelet ne pourra m’en empêcher ; je quitterai Minerve pour Apollon. Vous êtes, sire, ma plus grande passion, et il faut bien se contenter dans la vie.

Rien de plus inutile que mon très-profond respect, etc.


1580. — À M. LE COMTE D’ARGENSON[1],
ministre de la guerre.
Samedi, 8 juin.

Je me flatte, monseigneur, que je partirai vendredi pour les affaires que vous savez. C’est le secret du sanctuaire ; ainsi n’en sachez rien. Mais si vous avez quelques ordres à me donner, et que vous vouliez que je vienne à Versailles, j’aurai l’honneur de me rendre secrètement chez vous à l’heure que vous me prescrirez.

Nous perdons sans doute considérablement à nourrir vos chevaux. Voyez si vous voulez avoir la bonté de nous indemniser en nous faisant vêtir vos hommes.

Je vous demande en grâce de surseoir l’adjudication jusqu’à la fin de la semaine prochaine. Mon cousin Marchant[2] attend cleux gros négociants qui doivent arriver incessamment, et qui nous serviront bien.

Heureux ceux qui vous servent, et plus heureux ceux qui

  1. Marc-Pierre de Voyer, comte d’Argenson, né le 6 août 1696, ministre de la guerre en 1743, disgracié en 1757, mort en 1764. Il était frère du marquis, et avait eté aussi le condisciple de Voltaire.
  2. Marchant ou Marchand, père de Marchant de Varenne et de Marchant de La Houhére. Voltaire lui fit avoir un intérêt dans la fourniture des fourrages et des habillements, et lui-même eut sa part dans les marchés. Marchant père, qui était cousin germain de Voltaire, est cité dans le quatrième alinéa de la lettre 1592.