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Majesté pourra amuser cette grande âme pétrie de tant de qualités contraires ! Soyez sûr, sire, qu’avant qu’il soit un mois j’irai chercher moi-même, à Bruxelles, les papiers[1] que vous daignez honorer d’un peu de curiosité, ou que je les ferai venir. Il y a de petites choses qu’un citoyen ne peut faire que difficilement, tandis que Frédéric le Grand en fait de si grandes en un moment. Vous n’êtes donc plus notre allié, sire ? mais vous serez celui du genre humain vous voudrez que chacun jouisse en paix de ses droits et de son héritage, et qu’il n’y ait point de troubles : ce sera la pierre philosophale de la politique, elle doit sortir de vos fourneaux. Dites : « Je veux qu’on soit heureux ; » et on le sera ; ayez un bon Opéra, une bonne Comédie. Puissé-je être témoin, à Berlin, de vos plaisirs et de votre gloire


1517. — À MADAME LA COMTESSE DE MAILLY.
13 juillet[2].

Madame, j’ai appris avec la plus vive douleur qu’il court de moi au roi de Prusse une lettre[3] dont toutes les expressions sont falsifiées. Si je l’avais écrite telle que l’on a la cruauté de la publier, et telle qu’elle est parvenue, dit-on, entre vos mains, je mériterais votre indignation.

Mais si vous saviez, madame, quelle est, depuis six ans, la nature de mon commerce avec le roi de Prusse, ce qu’il m’écrivit avant cette lettre, et dans quelles circonstances j’ai fait ma réponse, vous ne seriez véritablement indignée que de l’injustice que j’essuie, et je serais aussi sûr de votre protection que vous l’êtes d’être aimée et estimée de tout le monde.

Il ne m’appartient pas de vous fatiguer de détails au sujet de cette lettre, que je n’ai jamais montrée à personne, et au sujet de toutes celles du roi de Prusse, dont je n’ai jamais abusé.

Si je pouvais un jour, madame, avoir l’honneur de vous entretenir un quart d’heure, vous verriez en moi un bon citoyen, un homme attaché à son roi et à sa patrie, qui a résisté à tout

  1. La suite de l’Essai sur les Révolutions du monde, ou Essai sur les Mœurs.
  2. Louise-Julie, comtesse de Mailly-Nesle, née le 16 mars 1710, est morte à Paris, sa ville natale, le 30 mars 1751. Cette première favorite de Louis XV était la sœur aînée de Mmes de Vintimille, de Brancas, et de Châteauroux, qui devinrent aussi les maîtresses du même prince. Le règne de la comtesse de Mailly commença vers le milieu de 1739, par l’entremise du duc de Richelieu. (Cl.)
  3. Les copies avaient, à ce qu’il parait, été prises dans les bureaux des postes à Paris ; voyez la lettre 1526.