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Ô Paix ! heureuse Paix ! répare sur la terre
Tous les maux que lui fait la destructive guerre !
Et que ton front, paré de renaissantes fleurs,
Plus que jamais serein, prodigue tes faveurs !
Mais, quel que soit l’espoir sur lequel tu te fonde,
Pense que tu n’auras rien fait
Si tu ne peux bannir deux monstres de ce monde :
L’Ambition et l’Intérêt[1] !

J’espère qu’après avoir fait ma paix avec les ennemis, je pourrai à mon tour la faire avec vous. Je demande le Siècle de Louis XIV pour la sceller de votre part, et je vous envoie la relation que j’ai faite moi-même de la dernière bataille, comme vous me la demandez.

Je ne puis vous entretenir encore, jusqu’à présent, que de marches, de retraites honteuses, de poursuites, de coïonneries, et de toutes sortes d’événements qui, pour rouler sur des matières fort graves, n’en sont pas moins ridicules.

La santé de Rottembourg[2] commence à se rétablir ; il est entièrement hors de danger. Ne me croyez point cruel, mais assez raisonnable pour ne choisir un mal que lorsqu’il faut en éviter un pire. Tout homme qui se détermine à se faire arracher une dent, quand elle est cariée, livrera bataille lorsqu’il voudra terminer une guerre. Répandre du sang dans une pareille conjoncture, c’est véritablement le ménager ; c’est une saignée que l’on fait à son ennemi en délire, et qui lui rend son bon sens.

Adieu, cher Voltaire ; croyez toujours, et jusqu’à ce que je vous dise le contraire, que je vous estimerai et aimerai toute ma vie.

Fédéric.

1508. — DE FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
Camp de Kuttenberg, 20 juin.

Enfin ce Borcke est revenu,
Après avoir beaucoup couru.
Entre les beaux bras d’Émilie
II m’assure vous avoir vu,
Le corps languissant, abattu,
Mais toujours l’esprit plein de vie
Et de cette aimable saillie
Qui vous a rendu si connu,
Depuis ce pays malotru
Jusqu’à Paris votre patrie.

  1. Ces vers se trouvent aussi en tête de la lettre de Frédéric à Jordan, du 18 juin 1742.
  2. Il avait été blessé à la journée du 17 mai, où, selon Laveaux, il commandait comme général, et fit reculer quelques régiments de l’aile droite de l’armée autrichienne. (Cl.)