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quelque cas de moi, mandez-moi ce que vous pensez. Je vous promets le plus profond secret. Je vous renverrai même votre lettre si vous le voulez. Il me semble que c’est un assez beau siècle que celui où les gens de lettres balancent à se rendre à la cour des rois mais s’ils ne balancent point, le siècle sera bien plus beau.

Je suis toujours au rang de vos plus tendres et de vos plus fidèles serviteurs.


1477. — À M. DE CIDEVILLE.
À Bruxelles, ce 28 octobre.

Vous, qu’à plus d’un doux mystère
Les dieux ont associé,
Dans l’art des vers initié,
Qui savez les juger aussi bien que les faire ;
Vous, Hercule en amour, Pylade en amitié,
Vous seul manquez encore aux charmes de ma vie.
Sous le ciel de Paris, grands dieux prenez le soin
De ramener ma Muse avec la sienne unie
C’est n’être point heureux que de l’être si loin.

Je compte donc, mon cher ami, passer par Paris au commencement de novembre ; je ne me flatte pas de vous y rencontrer ; je me plains, par avance, de ce que probablement je ne vous y verrai pas. C’est le temps où tout le monde est à la campagne, et vous êtes un de ces héros qui passez votre temps dans des châteaux enchantés. De Paris où irons-nous ? plaider à la plus voisine juridiction de Cirey, et de là replaider à Bruxelles. Ne voilà-t-il pas une vie bien digne d’une Émilie ! Cependant elle fait tout cela avec allégresse, parce que c’est un devoir. Je compte, moi, parmi mes devoirs, de rendre mon Prophète un peu plus digne de mon cher Aristarque. Je l’ai laissé reposer depuis quelques mois, afin de tâcher de le revoir avec des yeux moins paternels et plus éclairés. Quelle obligation n’aurai-je point à vos critiques, si jamais l’ouvrage vaut quelque chose ! Ce sont là de ces plaisirs que toutes sortes d’amis ne peuvent pas faire. Je doute que Pylade et Pirithoüs eussent corrigé des tragédies. Il me manque de vous voir pour vous en remercier. Je ne sais plus où vous me prendrez pour ajouter à vos faveurs celle de m’écrire. Dès que je serai fixé pour quelque temps, je vous le manderai.