Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome35.djvu/419

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Pour moi, qui crois en Dieu autant et plus que personne, si je n’avais d’autres preuves que celle de ce Privât de Molières, je sens bien qu’il me resterait encore quelques petits scrupules.

J’ai lu la tragédie[1] de Vert-Vert, qu’il m’a fait l’honneur de m’envoyer ; ainsi il faut que j’en dise du bien. Il y a d’ailleurs un certain air anglais qui ne me déplaît pas.

On dit que ces Anglais ont pillé Porto-Bello et Panama ; c’est bien là une vraie tragédie. Si le dénoûment de cette pièce est tel qu’on le dit, il y aura beaucoup de négociants français et hollandais ruinés. Je ne sais quand finira cette guerre de pirates. Pour celle que fait ici Mme du Châtelet, avec d’autres pirates nommés avocats et procureurs, elle sera peut-être plus longue que la querelle de l’Espagne et de l’Angleterre. J’ai l’air de rester du temps à Bruxelles ; mais que m’importe ? avec Émilie et des livres, je suis dans la capitale de l’univers, pourvu que je n’y végète pas comme Rousseau. Mille respects à Mme du Deffant ; je vous embrasse du meilleur cœur du monde, etc.


1261. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
À Bruxelles, ce 1er avril.

Plus ange gardien que jamais, je m’étais déjà avisé de travailler tout seul à ma Pandore, et je n’avais pas attendu la grâce d’en haut ; j’allais l’envoyer, pour chercher un musicien, lorsque le paquet de mon cher ange est arrivé.

J’ai grande impatience de savoir si vous trouvez le Mahomet mieux lié, plus intéressant, mieux écrit, et enfin si, après le grand fracas du quatrième acte, le cinquième vous semble supportable.

Vous pourriez, en attendant, mon respectable ami, couronner vos bontés pour Zulime, en promettant à Mlle Gaussin le premier rôle dans Mahomet. Vous voulez que j’espère de Zulime, j’espère donc ; in verbo tuo laxavi rete[2].

Revenons à Pandore ; je n’ai point d’expressions pour vous remercier. Il faudra donc encore une fois rompre la chaîne des études philosophiques, et quitter le compas pour la lyre. Soit ; je suis le maître Jacques[3] du Parnasse ; mais malheureusement maître Jacques n’était ni bon cocher ni bon cuisinier.

  1. Edouard III.
  2. Évangile de saint Luc, v. 5.
  3. Valet de l’Avare, de Molière.