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avec ces rayons-là quand il m’en prend envie, qu’ils sont colorés, qu’ils se réfractent suivant des lois immuables, etc. Mais combien d’onces il en sort du soleil par an, c’est ce que j’ignore ; et comment il répare ses pertes, je n’en sais pas davantage. Je sais très-bien qu’une comète peut tomber dans ce globe, mais je ne dis point : Cela peut être, donc cela est. Vous faites un calcul qui m’épouvante pour le soleil. J’ai dit qu’un rayon de 33 millions de lieues n’a pas probablement un pied de matière, mis bout à bout ; vous vous effrayez du nombre de pieds de roi que le soleil perd ; mais, monsieur, ces pieds de roi ne sont pas des pieds cubiques. L’épaisseur d’un rayon est infiniment petite par rapport à l’épaisseur d’un cheveu, et le soleil ne perd peut-être pas en un an la valeur de quatre livres.

5° Cet être singulier, qui produit la chaleur, la lumière, les couleurs, est-il pesant comme les autres êtres connus ? c’est-à-dire a-t-il la propriété de tendre vers le centre du globe où il se trouve, etc. ? Pèse-t-il sur le soleil, pèse-t-il sur la terre ? Certes, s’il pèse, il ne pèse guère. Toutes les expériences que j’ai vues et que j’ai faites ne prouvent pas grand’chose. J’ai fait peser du fer enflammé depuis une once jusqu’à 2,000 livres ; j’ai fait peser ce même fer refroidi, nulle différence dans le poids. Il se pourrait, à toute force, que le feu n’eût pas cette propriété ; il se pourrait même qu’il fût pénétrable : c’est ce que pensent certains physiciens. Mme la marquise du Châtelet, dans son Essai plein d’excellentes choses sur la nature du feu, lequel a concouru pour le prix[1], dit hardiment que le feu, la lumière, n’a ni la propriété de la gravitation vers un centre, ni celle d’être impénétrable. Cette proposition a révolté nos cartésiens, et a fait manquer le prix à un ouvrage qui le méritait d’ailleurs. Pour moi, qui vois que la lumière, le feu est matière, qu’il presse, qu’il divise, qu’il se propage, etc., je ne vois pas qu’il y ait d’assez fortes raisons pour le priver des deux principales propriétés dont la matière est en possession, et je suis ici comme le Père Bauny et Escobar, dans le cas des opinions probabls[2].

Au reste ne vous effrayez point que, malgré cette gravitation probable des petites particules du feu sur le centre du soleil, elles s’échappent pourtant avec une si prodigieuse célérité. Voyez dans une fournaise de forge ; ce que les forgerons appellent la pâte est un globe de fonte tout enflammé quand on le retire de

  1. Voyez tome XXIII, page 65.
  2. Voyez les cinquième et sixième des Lettres provinciales, de Pascal.