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gerbe s’élevait et que vos gerbes adoraient ma gerbe. J’ai songé encore un autre songe. C’est que le soleil et la lune et onze étoiles m’adoraient… et ses freres se disaient : tuons notre songeur, et nous dirons qu’une bête l’a mangé ; et nous verrons de quoi lui auront servi ses songes… et s’étant assis ensuite pour manger leur pain, ils virent des ismaëlites qui venaient de Galaad avec des chameaux chargés d’aromates ; ils vendirent à ces marchands leur frere Joseph qu’ils avaient jeté tout nu dans un puits sec, après l’avoir dépouillé de sa belle robe bigarrée, et ils le vendirent vingt pieces d’argent [1]. Alors ils prirent la tunique de Joseph, et l’ayant arrosée du sang d’un chevreau ils l’envoyerent à leur pere, et lui firent dire : nous avons trouvé cela ; vois si c’est la robe de ton fils où non. Et Jacob, aiant déchiré ses vêtemens, il se revêtit d’un cilice, pleurant longtemps son fils ; et il dit : je descendrai avec mon fils dans l’enfer, et il continua de pleurer. Les ismaëlites, ou madianites vendirent Joseph en égypte à Putiphar, eunuque de pharaon, et maître de la milice [2]

  1. le peuple de Dieu n’était alors composé que de quatorze hommes, Isaac, Jacob et ses douze enfans, dans les temps qu’on voyait par-tout de grandes nations. Les peres ont remarqué que c’est la figure du petit nombre des élus. Mais, parmi ces élus, Jacob trompe son pere et son frere, et il vole son beau-pere. Il couche avec ses servantes. Ruben couche avec sa belle-mere. Deux enfans de Jacob égorgent tous les mâles de Sichem. Les autres enfans pillent la ville. Ces mêmes enfans veulent assassiner leur frere Joseph, et ils le vendent pour esclave à des marchands. Cette famille semble bien abominable aux critiques. Mais le révérend pere Don Calmet prouve que Joseph, vendu par ses freres pour vingt pieces d’argent, annonce évidemment Jésus-Christ vendu trente pieces par Judas-Iscariot. Encore une fois, les voies de Dieu ne sont pas nos voies. à l’égard des songes, qui attirerent à Joseph la haine de ses freres, ils ont toujours été regardés comme envoyés du ciel ; et dans toutes les nations il se trouva des charlatans qui les expliquaient. Cette explication des songes est expressément défendue dans le lévitique, chapitre 19 ; et il est dit dans le chapitre 13 du deutéronome : que le songeur de songes doit être mis à mort dans certains cas. Mais pour Joseph, on verra qu’il ne réussit en égypte, et qu’il ne fut le soutien de sa famille, qu’à cause de ses songes. Quant aux marchands ismaëlites, on voit qu’ils fesaient déjà un grand commerce d’aromates et d’esclaves : ce qui marque une extrême population. Les douze enfans d’Ismaël avaient déjà produit un peuple immense ; et les douze enfans de son neveu Jacob paraissent être encore dans la misere, réduits à garder les moutons, malgré les richesses que le sac de la ville de Sichem devait leur avoir procurées. (Note de Voltaire.)
  2. les enfans de Jacob mettent le comble à leur crime, en désolant leur pere par la vue de cette tunique ensanglantée. Jacob s’écrie dans la douleur, j’en mourrai, je descendrai en enfer avec mon fils. Le mot shéol , qui signifie la fosse, le souterrein, la sépulture, a été traduit dans la vulgate par le mot d’enfer, infernum, qui veut dire proprement le tombeau, et non pas le lieu appellé par les