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tant de nations, sortant à peine de l’état de sauvage, l’esprit de propriété ait décerné la peine de mort contre les séducteurs et les séduites. Aujourd’hui les mœurs adoucies ne punissent plus avec cette rigueur un crime que tout le monde est tenté de commettre, que tout le monde favorise quand il est commis, qu’il est si difficile de prouver, et dont on ne peut guère se plaindre en justice sans se couvrir de ridicule. La société a fait une convention secrète de ne point poursuivre des délits dont elle s’est accoutumée à rire [1].

Mais lorsqu’à la honte des familles de tels procès éclatent,» quand la justice sépare les deux conjoints, il y a un autre inconvénient dans la moitié de l’Europe. Cette moitié se gouverne encore par ce qu’on appelle le droit canon. Cette étrange jurisprudence, qui fut longtemps l’unique loi, ne considère dans le mariage qu’un signe visible d’une chose invisible, de sorte que deux époux étant séparés par les lois de l’État, la chose invisible subsiste encore quand le signe visible est détruit. Les deux époux sont réellement divorcés, et cependant ils ne peuvent, par la loi, se pourvoir ailleurs. Des paroles inintelligibles empêchent un homme séparé légalement de sa femme d’en avoir légalement une autre, quoiqu’elle lui soit nécessaire. Il reste à la fois marié et célibataire. Cette contradiction extravagante n’est pas la seule qui subsiste dans ces pays où l’ancienne jurisprudence ecclésiastique est mêlée avec la loi de l’État. Les princes, les rois, y sont liés eux-mêmes par ces chaînes ridicules et funestes. Ils sont obligés de mentir hautement devant Dieu pour obtenir par grâce un divorce sous un autre nom, de la part d’un prêtre étranger. Ce prêtre déclare, quand il veut, le mariage nul, au lieu de le déclarer rompu.

Ainsi le bon et faible Louis XII, roi de France, se vit forcé de faire un faux serment, et de jurer qu’il n’avait jamais consommé l’acte de mariage avec la fille de Louis XI, quoiqu’ils eussent

  1. L’adultère est un crime en morale, mais il ne peut être un délit punissable par les lois : 1" parce que si vous avez égard à la violation du serment, la punition de la femme ne peut être juste, à moins que la loi ne condamne le mari convaincu d’adultère à la même peine; 2" si vous avez égard au crime de donner à une famille des héritiers étrangers, il faudrait donc prouver alors que le délit a été consommé; or c’est ce qui est impossible, sinon par l’aveu de la coupable. Au reste, en laissant au mari, comme à la femme, la liberté de faire divorce, toute peine contre l’adultère devient inutile. Il est d’ailleurs dangereux de laisser subsister une loi pénale contre l’adultère dans un pays où ce crime est commun, et toléré par les mœurs, parce qu’alors cette loi ne peut être que l’instrument de vengeances personnelles ou d’intérêts particuliers. (K.)