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550 PRIX DE LA JUSTICE

avec dépens'. La même sottise qui fit passer ce pauvre homme pour un grand prédicateur lui donna la réputation d'un grand magicien. On soutint dans le sanctuaire des lois qu'en soufflant dans la bouche de la fille nommée Cadicre, il lui avait fait entrer un démon d'impureté dans le corps, et que cette fille, possédée du diable et de frère Girard, était devenue amoureuse de l'un et de l'autre.

Les avocats qui plaidèrent contre le jésuite ne manquèrent pas de citer l'exemple du curé Gaufridi, qui non-seulement fut accusé au même parlement d'avoir soufflé le diable dans la bouche de Magdeleine La Palud, à Marseille, mais qui l'avoua dans les horreurs de la torture ( moyen sûr de découvrir la vé- rité). On cita la fameuse aventure des ursulines de Loudun, toutes ensorcelées par le curé Grandier. Ce curé Grandier avec ce curé Gaufridi avaient été brûlés vifs, à la plus grande gloire de Dieu-.

Il est dit même, dans la relation la plus authentique de ce procès et de la mort affreuse de ce curé Grandier, que le bour- reau qui lui administra la question, ne le faisant pas assez soufi"rir pour le forcer à se confesser sorcier, un révérend père récollet, aussi robuste que zélé, prit la place du questionnaire, et enfonça les instruments de la vérité si profondément dans les jambes du patient qu'il en fît sortir la moelle. De tout cela l'on conclut qu'il fallait donner la question à Girard, et le brûler. Il aurait subi ces deux supplices s'il y avait eu dans le parlement deux voix contre lui : car il avait été charitablement statué, il y a longtemps, que la majorité de deux voix suffisait pour livrer loyalement un citoyen ou un moine au plus épouvantable des supplices. Je vous ferai voir bientôt, messieurs, que trois pré- tendus gradués ou praticiens de province ont suffi pour faire expirer des enfants dans les flammes, avec des accessoires d'une atrocité iroquoise cent fois plus aggravants. Mais continuons cet article du sortilège.

On sait assez que le procès des diables do Loudun et du curé Grandier livre à une exécration éternelle la mémoire des in- sensés scélérats qui l'accusèrent juridiquement d'avoir ensorcelé des ursulines, et ces misérables filles qui se dirent possédées du diable, et cet infâme juge-commissaire Laubardemont^ qui con-

1. Sur vingt-cinq juges, douze furent pour la condamnation au feu, et treize pour l'absolution.

12. Voyez tome XIV, page 174; XX, 455.

3. Laubardeniont, parent de la supérieure du couvent des ursulines, fut juge-

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