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vient à me tâter, je crains qu’il ne pense que j’ai voulu le tromper, et que je n’attire sur moi sa malédiction au lieu de sa bénédiction. Rébecca lui dit : que cette malédiction soit sur moi, mon fils : entends seulement ma voix, et apporte ce que j’ai dit. Il y alla, il l’apporta à sa mere, qui prépara le ragoût que son pere aimait [1]. Elle habilla Jacob des bons habits d’ésaü, qu’elle avait à la maison ; elle lui couvrit les mains et le cou avec les peaux des chevreaux, puis lui donna la fricassée et les pains qu’elle avait cuits. Jacob, les ayant apportés à Isaac, lui dit, mon pere ! Isaac répondit, qui es-tu, mon fils ? Jacob répondit ; je suis ésaü ; j’ai fait ce que tu m’as commandé : leve-toi, assieds-toi, mange de ma chasse, afin que ton ame me bénisse. Isaac dit à son fils : comment as-tu pu sitôt trouver du gibier ? Jacob répondit : la volonté de Dieu a été que je trouvasse sur le champ du gibier. Isaac dit : approche-toi que je te touche, et que je m’assure si tu es mon fils ou non. Jacob s’approcha de son pere ; et Isaac, l’ayant tâté, dit : la voix est la voix de Jacob, mais les mains sont les mains d’ésaü ; et il ne le connut point, parce que ses mains, étant velues, parurent semblables à celles de son fils aîné. Il le bénit donc, et lui dit : es-tu mon fils ésaü ? Jacob répondit : je le suis. Isaac dit : apporte-moi donc de ta chasse, mon fils ; afin que mon ame te bénisse. Jacob lui présenta donc à manger ; il lui présenta aussi du vin qu’il but, et lui dit : approche-toi de moi et baise-moi, mon fils ; et il s’approcha, et baisa Isaac, qui, ayant senti l’odeur de ses habits, lui dit en le bénissant : voilà l’odeur de mon fils, comme l’odeur d’un champ tout plein béni du seigneur. Et il dit [2] : que Dieu te donne de la rosée du ciel, et de la graisse de la terre, abondance de bled et de vin ! Que les peuples

  1. Rébecca paraît encor plus méchante que Jacob ; c’est elle qui prépare toute la fraude : mais elle accomplissait les décrets de la providence sans le savoir. On punirait dans nos tribunaux Jacob et Rébecca, comme ayant commis un crime de faux. Mais la sainte écriture n’est pas faite comme nos loix humaines. Jacob exécutait les arrêts divins, même par ses fautes. (Note de Voltaire)
  2. on demande encore comment Dieu put attacher ses bénédictions à celles d’Isaac, extorquées par une fraude si punissable et si aisée à découvrir ? C’est rendre Dieu esclave d’une vaine cérémonie, qui n’a, par elle-même, aucune force. La bénédiction d’un pere n’est autre chose qu’un souhait pour le bonheur de son fils. Tout cela, encore une fois, étonne l’esprit humain, qui n’a, comme nous l’avons dit souvent*, d’autre parti à prendre que de soumettre sa raison à la foi. Car puisque la sainte église, en abhorrant les juifs et le judaïsme, adopte pourtant toute leur histoire, il faut croire aveuglément toute cette histoire. (Id.) *Ci-dessus pages 17, 20.