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D’ÉVHÉMÈRE.

nommé Arivhé[1] était d’autant plus croyable qu’il a vu dans notre corps la circulation du sang, que notre Hippocrate n’avait jamais vue, et qu’Aristote ne soupçonnait pas. Il a disséqué mille mères de famille quadrupèdes qui avaient reçu la liqueur du mâle ; mais après avoir aussi examiné les œufs des poules, il a décidé que tout vient d’un œuf ; que la différence entre les oiseaux et les autres espèces est que les oiseaux couvent, et que les autres espèces ne couvent point : une femme n’est qu’une poule blanche en Europe, et une poule noire au fond de l’Afrique. On a répété après Arivhé : Tout vient d’un œuf.

Callicrate.

Ainsi voilà donc le mystère découvert.

Évhémère.

Non ; depuis peu tout a changé : nous ne venons plus d’un œuf. Il a paru un Batave[2] qui, avec le secours d’un verre artistement taillé, a vu dans la liqueur séminale des mâles un peuple entier de petits enfants déjà tout formés, et courant avec une agilité merveilleuse. Plusieurs curieux et curieuses ont fait la même expérience, et on a été persuadé que le mystère de la génération était enfin développé, car on avait vu de petits hommes en vie dans la semence de leur père. Malheureusement la vivacité avec laquelle ils nageaient les a décrédités. Comment des hommes qui couraient avec tant de promptitude dans une goutte de liqueur demeuraient-ils ensuite neuf mois entiers presque immobiles dans la matrice de leur mère ?

Quelques observateurs ont cru voir dans ces petits animalcules spermatiques, non des êtres vivants, mais des filaments de la liqueur même, quelques particules de cette liqueur chaude agitée par son propre mouvement et par le souffle de l’air ; plusieurs curieux ont cherché à voir, et n’ont rien vu du tout ; enfin on s’est dégoûté, non pas de fournir à ces expériences, mais d’user ses yeux à contempler dans une goutte de sperme un peuple si difficile à saisir, et qui probablement n’existait pas.

Un homme, et toujours de l’île de Cassitéride, mais qui ne doit pas être compté parmi les philosophes, a pris un autre chemin : c’était un de ces demi-druides auxquels il n’est pas permis de se connaître en liqueur spermatique ; il a cru qu’il suffisait d’un peu de farine de mauvais blé pour faire naître des anguilles[3].

  1. Harvei, ou plutôt Harvey.
  2. Leuwenhoek et Hartsoeker ; voyez tome XXI. pages 115 et 337, et tome XXVII, page 158.
  3. Needham ; voyez la note, tome XXVII, page 159.