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D’ÉVHÉMÈRE.

de l’ombre de l’âne, laquelle n’appartient pas plus à l’un qu’à l’autre.

Les étoiles, dit-il, sont de même nature que le corps qui les porte, si ce n’est qu’elles sont plus épaisses et plus compactes. Elles sont la cause de la chaleur et de la lumière sur la terre, en frottant l’air avec rapidité, comme un grand mouvement enflamme le bois et liquéfie le plomb. Ce n’est pas là, comme vous voyez, une physique bien saine.

Callicrate.

Je vois qu’il faut que nos Grecs étudient encore longtemps sous vos barbares.

Évhémère.

Je suis fâché qu’ayant assuré que le monde est éternel, il dise ensuite que les éléments ne le sont pas ; car certainement, si mon jardin est éternel, la terre de mon jardin l’est aussi. Aristote prétend que les éléments ne peuvent durer toujours, parce qu’ils se transforment continuellement l’un en l’autre. Le feu, dit-il, devient air, l’air se change en eau, et l’eau en terre ; mais ces éléments, en changeant perpétuellement, n’empêchent pas que le monde qui en est composé ne subsiste toujours.

J’avoue que je ne crois pas avec lui que l’air devienne feu, et que le feu devienne air ; il m’est encore très-difficile d’entendre ce qu’il dit de la génération et de la corruption : « Toute corruption, dit-il, succède à la génération : cette corruption est le terme auquel, et la génération est le terme duquel. »

S’il veut dire par là que tout ce qui a reçu la naissance se détruit à la mort, ce n’est qu’une vérité triviale qui ne vaut pas la peine d’être dite, encore moins d’être annoncée mystérieusement.

Callicrate.

J’ai peur qu’il n’entende ce que le sot peuple entend, qu’il faut que toutes les semences pourrissent[1] et meurent pour germer. Cela ne serait pas digne d’un sage observateur tel que lui. Il n’avait qu’à examiner un grain de blé confié depuis quelque temps à la terre. Il l’aurait trouvé frais, bien nourri, appuyé sur ses racines, et n’ayant nul signe de corruption. Un homme qui dirait que le blé vient de corruption aurait le jugement bien corrompu. Cela n’est permis qu’aux paysans grossiers des bords du Nil. Ils ont cru voir des rats moitié fange, moitié animés, qui n’étaient cependant que des rats crottés.

  1. C’est ce que dit saint Paul dans la première aux Corinthiens, ch. xv, 36.