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D’ÉVHÉMÈRE.
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ombres, qui viennent lécher du sang et boire du lait dans une fosse. Des enchanteurs et des enchanteresses, qui ont un esprit de Python, évoquent des mânes, des ombres qui montent de la terre. Il y a des âmes dont les vautours mangent le foie ; d’autres se promènent continuellement sous des arbres, et c’est là la souveraine félicité, c’est le paradis d’Homère.

Les honnêtes gens n’ont pas été satisfaits de ces innombrables puérilités. Pour moi, j’ai pris le parti de recourir à Dieu, et de lui dire : « C’est à toi, maître absolu de la nature, que je dois tout ; tu m’as accordé le don du sentiment et de la pensée, comme tu m’as donné la faculté de digérer et de marcher. Je t’en remercie, et je ne te demande pas ton secret. » Cette prière est, à mon avis, plus raisonnable que les vaincs et interminables disputes sur psyché, pneuma, nous, et skia.

Callicrate.

Si vous croyez que c’est Dieu qui nous tient lieu d’âme, vous n’êtes donc qu’une machine dont Dieu gouverne les ressorts : vous êtes dans lui, vous voyez tout en lui[1], il agit en vous. Trouvez-vous, en conscience, ce système meilleur que le nôtre ?

Évhémère.

J’aimerais mieux avoir confiance en Dieu qu’en moi. Quelques philosophes pensent ainsi ; leur petit nombre même me porte à croire qu’ils ont raison. Ils soutiennent que l’ouvrier doit être le maître de son ouvrage, et que rien ne peut arriver dans l’univers qui ne soit soumis à l’artisan souverain.

Callicrate.

Quoi ! vous oseriez dire que Dieu est sans cesse occupé à faire jouer toutes ces machines ?

Évhémère.

Dieu m’en préserve ! Voilà comme dans toutes les disputes on fait dire à son adversaire ce qu’il n’a point dit. Je prétends, au contraire, que le souverain éternel a établi, de toute éternité, ses lois, qui seront toujours accomplies par tous les êtres. Dieu a commandé une fois, et l’univers obéit toujours.

Callicrate.

J’ai bien peur que mes théologiens épicuriens ne vous reprochent de faire Dieu auteur du péché : car enfin, s’il vous anime et si vous faites une faute, c’est lui qui la commet.

Évhémère.

C’est un reproche qu’on peut faire à toutes les sectes, excepté

  1. Voyez l’opuscule de Voltaire, intitulé Tout en Dieu, tome XXVIII, page 91.