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SUR L'ESPRIT DES LOIS. 415

C'est une chose assez singulière que ces anciens lieux com- muns contre les princes et leurs courtisans soient toujours reçus d'eux avec complaisance, comme de petits chiens qui jappent et qui amusent, La première scène du cinquième acte du Pastor fido contient la plus éloquente et la plus touchante satire qu'on ait jamais faite des cours: elle fut très-accueillie par Philippe II, et par tous les princes qui virent ce chef-d'œuvre de la pastorale.

Il en est de ces déclamations comme de la satire des Femmes de Boileau : elle n'empêchait pas qu'il n'y eût des femmes très- honnêtes et très-respectables. De même, quelque mal que l'on dît de la cour de Louis XIV, ces invectives n'empêchèrent pas que, dans les temps de ses plus grands revers, ceux qui avaient part à sa confiance, les Beauvilliers, les Torcy, les Villars, les Villeroi, les Pontchartrain, les Chamillart, ne fussent les hommes les plus vertueux de l'Europe. Il n'y avait que son confesseur Le ïellier qui ne fût pas reconnu généralement pour un si honnête homme.

Quant au reproche que Montesquieu fait à Richelieu d'avoir dit « que s'il se trouve un malheureux honnête homme \ il faut se garder de s'en servir », il n'est pas possible qu'un ministre qui avait du moins le sens commun ait eu l'extravagance de donner à son roi un conseil si abominable. Le faussaire "^ qui forgea ce ridiculeTestament du cardinal de Ptichelieu a dit tout le contraire. On l'a déjà observé plus d'une fois ^ et il faut le répéter, car il n'est pas permis de tromper ainsi l'Europe, Voici les propres pa- roles du prétendu Testament; c'est au chapitre iv :

(( On peut dire hardiment que de deux personnes dont le mérite est égal, celle qui. est la plus aisée en ses allaires est pré- férable à l'autre, étant certain qu'il faut qu'un pauvre magistrat ait l'àme d'une trempe bien forte si elle ne se laisse quelquefois amollir par la considération de ses intérêts. Aussi l'expérience nous apprend que les riches sont moins sujets à concussion que les autres, et que la pauvreté contraint un pauvre officier à être fort soigneux du revenu de son sac, »

t. Le texte porto : « Que si dans le peuple il se trouve un malheureux honnête homme, le cardinal de R., dans son Testament jjolitique, insinue qu'un monarque doit se garder de s'en sei'vir. » Et ici se trouve une note ainsi conçue : u II ne faut pas, y est-il dit, se servir de gens de bas lieu : ils sont trop austères et trop difficiles. )>

2. L'abbé de Bourzeis était regardé par Voltaire comme l'auteur du Testament du cardinal de Richelieu; voyez tome XIV, page 46; XVII, 211 ; XIX, 31 ; XX, 430; XXII, 258; XXIII, 427; XXIV, 583; XXV, 277, 321.

3. Voyez tome XIV, page 108; XV, 138 ; XXVII, 310.

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