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Sara ; mais le Seigneur vint par un songe, pendant la nuit, vers Abimelech, et lui dit : Tu mourras à cause de cette femme, car elle a un mari[1] ; mais Abimélech ne l’avait point touchée, et il dit : Seigneur, ferais-tu mourir des gens innocents et ignorants ? Ne m’a-t-il pas dit lui-même : Elle est ma sœur ? Ne m’a-t-elle pas dit : Il est mon frère ? J’ai fait cela dans la simplicité de mon cœur, et dans la pureté de mes mains… Dieu lui répondit : Je sais que tu l’as fait avec un cœur simple, c’est pourquoi je t’ai empêché de la toucher. Rends donc la femme à son mari, parce que c’est un prophète, et qui priera pour toi, et tu vivras ; mais si tu ne veux pas la rendre, sache que tu mourras, toi et tout ce qui est à toi. Aussitôt Abimélech se lève au milieu de la nuit; il appela tous ses gens, qui furent saisis de crainte. Il appela aussi Abraham, et lui dit : Qu’as-tu fait ? quel mal t’avions-nous fait pour attirer sur moi et sur mon royaume le châtiment d’un si grand crime ? Tu n’as pas dû faire ainsi envers nous. Abraham répondit : J’ai pensé en moi-même qu’il n’y avait peut-être point de crainte de Dieu dans ce pays-ci, et qu’on me tuerait pour avoir ma femme. D’ailleurs ma femme est aussi ma sœur, fille de mon père, mais non pas fille de ma mère… Mais depuis que les dieux me font voyager loin de la maison de mon père, j’ai toujours dit à ma femme : Fais-moi le plaisir de dire partout où nous irons que je suis ton frère…

Abimélech donna donc des brebis et des bœufs, et des garçons et des servantes, à Abraham, et lui dit: Va-t’en, et habite où tu voudras ; et il dit à Sara ; Voici mille pièces d’argent pour ton

  1. Voici qui est aussi extraordinaire que tout le reste, quoique d’un autre genre. Premièrement, on voit un roi dans Gérare, désert horrible où depuis ce temps il n’y a eu aucune habitation. Secondement, Sara est encore enlevée pour sa beauté, ainsi qu’en Égypte, quoique l'Écriture lui donne alors quatre-vingt-dix ans. Troisièmement, elle était grosse dans ce temps-là même de son fils Isaac. Quatrièmement, Abraham se sert de la même adresse qu’en Égypte, et il dit que sa femme est sa sœur. Cinquièmement, il dit qu’en effet il avait épousé sa sœur fille de son père, et non de sa mère. Sixièmement, les commentateurs disent qu’elle était sa nièce. Septièmement, Dieu avertit en songe le roi de Gérare que Sara est la femme d’Abraham. Huitièmement, ce roi ou ce chef d’Arabes Bédouins donne à Abraham, ainsi que le roi d’Égypte, des brebis, des bœufs, des serviteurs, et des servantes, et mille pièces d’argent. Neuvièmement, le dieu des Hébreux apparaît à Abimélech, roi ou chef des Arabes de Gérare, aussi bien qu’à Abraham et à Loth. Cependant Abimélech, roi de Gérare, n’était point de la religion d’Abraham : Dieu n’avait fait un pacte qu’avec Abraham et sa semence. Dixièmement, Loth, que Dieu sauva miraculeusement de l’incendie miraculeux de Sodome, n’était pas non plus de la semence d’Abraham. Il est, par son double inceste, père de deux nations idolâtres. Ce sont autant de nouvelles difficultés pour les doctes, et autant d’objets de docilité et de soumission pour nous. (Note de Voltaire.)