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DU JOURNAL DE POLITIQUE, ETC. 385

ni des Trajan ; et quant à Frédéric le Grand, ce que vous dites de lui ne paraît pas avoir été dicté par la voix publique. Son fluide nerveux, selon vous, lui a persuadé « qu'en remportant des victoires, il a dédaigné une estime qu'il n'avait pas méritée ; il a voulu une gloire fondée sur le mérite personnel, et il l'a cherchée dans la science; les âmes passionnées de la gloire aiment l'estime pour l'estime ».

L'Europe vous dira, monsieur, qu'il a mérité cette estime en hasardant son sang et ses méninges dans vingt batailles ; et que s'il a mérité un autre degré d'estime en cultivant les belles- lettres, et en les protégeant, vous ne devez pas pour cela ou- trager M. Helvétius, qui a été aimé par ce grand prince. Les batailles du roi de Prusse n'ont rien de commun ni avec un système de médecin, ni avec M. Helvétius, qui a soutenu l'axiome si ancien : Rien n'est dans l'entendement qui n'ait été dans les sens.

Rien ne décrédite plus un système de physique que de s'écar- ter ainsi de son sujet. Il ne faut pas sortir à tout moment de sa maison pour s'aller faire des querelles dans la rue.

M. Marat, ayant prouvé que l'homme a une âme et une volonté, intitule un chapitre : Observations curieuses sur nos sen- sations et sur nos sentiments.

Ces observations curieuses sont a le spectacle d'une tempête de la mer en fureur, du ciel en feu, du mugissement des eaux, de celui des vents déchaînés, et du roulement du tonnerre». Il oppose à cette description neuve et bien placée la vue (non moins neuve) « d'une belle campagne que le soleil éclaire de ses derniers rayons à la fin d'une journée sereine, le doux chant des oiseaux amoureux, le murmure des ruisseaux coulant sur la pelouse, leur onde argentée, le parfum des fleurs, et les caresses légères des zéphyrs, le tout portant l'ivresse dans l'âme ».

Après avoir approfondi ces idées philosophiques d'une tem- pête et d'un beau soir d'été, il donne au public l'idée de la vraie force de l'âme. « Quelle est donc l'âme forte? dit-il. Ce n'est point ce bouillant Achille, qui affronte tout danger; ce n'est point ce furieux Alexandre, qui fait mollir sous son ])ras ses nombreux ennemis ; ce n'est point cet austère Caton, qui se perce le flanc et qui se déchire les entrailles. »

Vous remarquerez que, quelques pages auparavant, l'auteur a dit ces propres mots : « Achille, le fer à la main, s'ouvrant un pas- sage jusqu'à Hector au travers des bataillons ennemis, et ren- versant comme un torrent impétueux tout ce qui s'oppose à son passage : voilà l'homme intrépide. »

30. — Mélanges. IX. 25

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