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venu chez nous pour nous juger ? Va, nous t’en ferons encore plus qu’à eux ; et ils firent violence à Loth, et se préparèrent à rompre les portes. Les deux voyageurs firent rentrer Loth chez lui, et fermèrent la porte. Ils frappèrent d’aveuglement tous les Sodomites, depuis le plus petit jusqu’au plus grand, de sorte qu’ils ne pouvaient plus trouver la porte…

Les anges dirent à Loth : As-tu ici quelqu’un de tes gens, soit gendre, soit fils ou fille ? Fais sortir de la ville tout ce qui t’appartient, car nous allons détruire ce lieu, parce que leur cri s’est élevé devant le Seigneur, qui nous a envoyés pour les détruire. Loth étant donc sorti, parla à ses gendres qui devaient épouser ses filles ; il leur dit : Levez-vous et sortez de ce lieu, parce que le Seigneur va détruire cette ville ; et ils crurent qu’il se moquait d’eux[1].


    ces deux anges, ces deux dieux étaient incorporels, ils avaient donc pris un corps d’une grande beauté, pour inspirer des désirs abominables à tout un peuple. Quoi ! les vieillards et les enfants, tous les habitants, sans exception, viennent en foule pour commettre le péché infâme avec ces deux anges ! Il n’est pas dans la nature humaine de commettre tous ensemble publiquement une telle abomination, pour laquelle on cherche toujours la retraite et le silence. Les Sodomites demandent ces deux anges comme on demande du pain en tumulte dans un temps de famine. Il n’y a rien dans la mythologie qui approche de cette horreur inconcevable. Ceux qui ont dit que les trois dieux dont deux étaient allés à Sodome, et un était resté avec Abraham, étaient Dieu le Père, le Fils, et le Saint-Esprit, rendent encore le crime des Sodomites plus exécrable, et cette histoire plus incompréhensible.

    La proposition de Loth aux Sodomites de coucher tous avec ses deux filles pucelles, au lieu de coucher avec ces deux anges, ou ces deux dieux, n’est pas moins révoltante. Tout cela renferme la plus détestable impureté dont il soit fait mention dans aucun livre.

    Les interprètes trouvent quelques rapports entre cette aventure et celle de Philémon et de Baucis ; mais celle-ci est bien moins indécente, et beaucoup plus instructive. C’est un bourg que les dieux punissent d’avoir méprisé l’hospitalité ; c’est un avertissement d’être charitable ; il n’y a nulle impureté. Quelques-uns disent que l’auteur sacré a voulu renchérir sur l’histoire de Philémon et de Baucis, pour inspirer plus d’horreur d’un crime fort commun dans les pays chauds. Cependant les Arabes voleurs, qui sont encore dans ce désert sauvage de Sodome, stipulent toujours que les caravanes qui passent par ce désert leur donneront des filles nubiles, et ne demandent jamais de garçons.

    Cette histoire de ces deux anges n’est point traitée ici en allégorie, en apologue, tout est au pied de la lettre ; et on ne voit pas quelle allégorie on en pourrait tirer pour l’explication du Nouveau Testament, dont l’Ancien est une figure, selon tous les Pères de l’Église. (Note de Voltaire.)

  1. L’auteur ne dit point ce que devinrent les deux gendres de Loth, qui ne demeuraient point dans sa maison avec ses filles, et qui ne les avaient pas encore épousées. Il faut qu’ils aient été enveloppés dans la destruction générale. Cependant l’auteur ne dit point que ces deux gendres de Loth fussent coupables du même excès d’impureté abominable pour laquelle les Sodomites furent brûlés avec la ville. Il ne parait point, par le texte, qu’ils fussent de la troupe qui voulut