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tendu cela derrière la porte de la tente, se mit ; à rire, car ils étaient tous deux bien vieux ; et Sara n’avait plus ses règles. Elle rit donc en se cachant, et dit : Après que je suis devenue vieille, et que mon Seigneur est si vieux, j’aurai encore du plaisir ! Mais Dieu dit à Abraham : Pourquoi Sara s’est-elle mise à rire en disant : Puis-je enfanter étant si vieille ? Est-ce qu’il y a quelque chose de difficile à Dieu ? Je reviendrai à toi dans un an, comme je te l’ai dit, si je suis en vie[1], et Sara aura un fils. Sara toute tremblante, dit : Je n’ai point ri. Dieu lui dit : Si fait, tu as ri[2].

Les trois voyageurs s’étant levés de là, dirigèrent leurs yeux vers Sodome, et Abraham marchait en les menant ; et le Seigneur dit : Pourrai-je cacher à Abraham ce que je vais faire, puisqu’il sera père d’une nation grande et robuste, et que toutes les nations de la terre seront bénies en lui[3] ? Car je sais qu’il ordonnera

  1. C’est Dieu même ici qui parle, et qui dit : Je reviendrai si je suis en vie. C’est qu’il ne se donne encore à Abraham que pour un homme.

    Dom Calmet trouve une ressemblance visible entre l’aventure d’Abraham et celle du bonhomme Irius à qui Jupiter, Neptune et Mercure, accordèrent un enfant en jetant leur semence sur un cuir de bœuf dont l’enfant naquit. Il est bien clair, dit Calmet, que le nom d’Irius est le même que celui d’Abraham. (Note de Voltaire.)

  2. Cette conversation de Dieu et d’Abraham, et tous ces détails, sont de la plus grande naïveté. L’auteur rend compte de tout ce qui s’est fait, et de tout ce qui s’est dit, comme s’il y avait été présent. Il a donc été inspiré sur tous les points par Dieu même ; sans quoi il ne serait qu’un conteur de fables. Ceux qui ont dit que toute cette histoire n’était qu’allégorique ont été bien hardis. Ils ont prétendu que Dieu et les anges qui vinrent chez Abraham ne mangèrent point, mais firent semblant de manger. Or si cela était, on pourrait en dire autant de toute la sainte Écriture : rien ne serait arrivé de ce qu’on raconte ; tout n’aurait été qu’en apparence ; l’Écriture serait un rêve perpétuel : ce qu’il n’est pas permis d’avancer, (Id.)
  3. Il n’est pas vrai à la lettre que toutes les nations de la terre descendent d’Abraham, puisqu’il y avait déjà, dès longtemps, de grands peuples établis, et que lui-même avait battu cinq grands rois avec trois cent dix-huit valets. On ne peut pas entendre non plus par toutes les nations les gens de Chanaan, puisqu’on suppose qu’ils furent tous massacrés. Il est difficile d’entendre par toutes les nations les mahométans et les chrétiens, qui sont les ennemis mortels des Juifs. On peut dire que le christianisme a été prêché dans la plupart des nations ; que le christianisme vient du judaïsme, et que le judaïsme vient d’Abraham. Mais tous les peuples qui n’ont point reçu le christianisme, les Japonais, les Chinois, les Tartares, les Indiens, les Turcs, ne peuvent être regardés comme bénis. Ce sont de petites difficultés qui se rencontrent souvent, et par dessus lesquelles il faut passer pour aller à l’essentiel. Cet essentiel est la piété, la foi, la soumission entière au chef de l’Église et aux conciles œcuméniques. Sans cette soumission, qui pourrait comprendre par son seul entendement comment Dieu s’entretenait si familièrement avec Abraham, sur le point d’abimer et de brûler cinq villes entières ? Quelle langue Dieu parlait ? Comment il fit rire Sara ? Comment il mangea ? Chaque mot peut faire naître un doute dans l’âme la plus fidèle. Ne